Les chroniques de DannY De LaeT

Le coeur et le crayon : la BD adulte en France

CHapitre 6 : Conclusion

Nous avons constaté que le roman dessiné, disons la BD adulte ou pour adultes, avait connu un beau départ fin des années ’40 mais que cette même BD à caractère familial ou tout simplement pour la femme, avait dès le début des années ’50 cédé du terrain au roman-photo pour être finalement complètement évincée.

Certes, dans le lot de publications hebdomadaires et mensuelles il y a quelques belles pépites à glaner. Certaines publications laissant le champ libre à leurs dessinateurs, on y découvre de belles oeuvres par des dessinateurs réputés et appréciés, même si certains ne sont connus que par un noyau d’admirateurs et/ou collectionneurs ; je songe à Nortier, Auger, Bourlès, Gigi et même le toujours méconnu Jean David. On retrouve aussi dans le lot de jeunes auteurs qui feront carrière par la suite: Forest, Marculetta…

Parfois on découvre aussi des oeuvre étonnantes, dues à Jijé, à Hubinon (Tarawa !) ou encore à Uderzo, voire Jean Graton (les Labourdet)…

Et n’oublions pas l’oeuvre éblouissante des auteurs italiens, Walter Molino en tête, dont on aimerait bien retrouver ses BD sentimentales en album, pourquoi pas…

Il y avait à côté de tout cela des oeuvres moins chastes dans une autre frange des publications, non plus familiales mais nettement intentionnées à un public principalemet mâle et adulte, je songe aux nombreuses publications érotiques qui foisonnaient dans l’après-guerre et jusque dans les années ’50, avant que les magazines à grand tirage, genre Playboy et Lui, ne les boutent hors du circuit.

Voici ce qu’en disait le fin connaisseur Christian Castéra concernant les “petites revues légères” : Elles furent très nombreuses dans les dix années de l’après guerre et la vie de chacune fut souvent très courte. Moins connues que leurs illustres consoeurs au grand format comme Paris Hollywood, elles ne manquèrent cependant pas de charme.(ce serait un comble !) et ne méritent pas toujours l’oubli dans lequel elles sont tombées. Elles représentent un fourre-tout où l’on trouve en vrac beaucoup de photos (striptease, dessous, poses lascives, nus) pas toujours bonnes mais pas toujours mauvaises non plus et quelques fois excellentes, des contes et nouvelles d’auteurs du moment, des articles (vie Parisienne, sexologie, criminologie), des articles, des dessins (J. David, bien sûr)… bref, elles sont un petit univers daté à (re)découvrir.

Bon Dieu, il y en eut de ces petits magazines, en moyenne de format 19/13, tels que : Paris Paradise (As Editions, Paris), Enqêtes (Paris) , Tentations (Les Petites Imprimeries, Lyon), Régal, Sensations, Paris-Tabou et Chi-Chis (Extentia, Paris et Lyon), Eve Secrete, Paris Gai, Paris Galant, Sensualité, Chut, etc. (Editions Secti, Paris) , Bonjour Paris, Paris-Indiscret, Amour Filmés, Romans Filmés et Indiscretions, (tous édité par Editions du Beau Navire, Paris), Extase, Audaces et Plaisir d’Amour (Sopar), Demoiselles (Paris), Volupté, Audaces, Exciting (S.N.E.P.), Amour Fiction (Edica)…

En effet, nouvelles galantes, jeunes femmes plus ou moins dénudées, annonces dubieuses et racoleuses, tout cela “mensuel” et souvent avec la mention “interdit à l’affichage” ou par réaction “autorisé à l’affichage” !

Bref, poils pubiens prohibés, il fallait se contenter de croupes et de poitrines généreusement dévoilées dans de curieux strip tease, à une époque où les femmes portaient encore en majorité des culottes petit bateau ! Certaines se nommaient (tel Extase) : publication d’art photographique !

Tout cela peut paraître innocent et désuet en 2013, mais à l’époque c’était jugé fort osé, cette accumulation de femmes nues et cela peut paraître gaulois et érotique mais ne verse pas dans la pornographie réelle. Certes cela existait aussi, mais là nous jettons l’éponge, car c’est encore un autre circuit qui n’est pas de notre propos.

Et on y fait parfois d’ étonnantes découvertes, Ainsi dans Régal on retrouvera des nouvelles de Francis Didelot, auteur polar réputé (et il y en eut d’autres) et dans Vive Paris de mars 1952 j’ai retrouvé photo (sexy) et nouvelle de l’écrivaine et peintre Monique Alika Watteau, auteure d’origine belge (née à Liège), première épouse du célèbre cryptozoölogue, Bernard Heuvelmans, (ami d’Hergé et de Henri Vernes) ; exhibitioniste née elle pose volontiers à poil. On la retrouve encore plus dénudée dans Harem ’53 (Editions Secti) où elle figure avec une “fiche technique”, qui parle de journalisme, cinéma, théâtre, dessin… A l’époque Monique (ou Monika !) essayait en tout cas de faire carrière dans le cinéma et ailleurs. Une belle femme certes au nez mutin (à l’époque on disait retroussé). Paris Paradise

Toutes ces photos cotoyent souvent les dessins de Jean David (coucou, le revoilà), qui livre des pin ups et des dessins humoristiques pleine page, toujours dans le style “Al Capp”, dans Eve Secrête et dans Demoisselle, Paris Gay, etc.

Eh bien, dans toutes ces publications, oui bien sûr, on voit aussi apparaître de la bande dessinée. Ainsi dans Sensations (Extentia, Lyon) de juin “48 (!) on voit apparaître Naïa, Le baiser du crotale, tout à fait dans le style italien mais c’est probablement la toute première BD érotique dans le genre. Auteur inconnu hélas, mais se pourrait-il qu’il s’agisse de Georges Lévis ? Non ? Sûr ?

Et puis surtout cette découverte dans Paris Cocktail Paradise d’une BD de l’excellent Raymond Cazanave: Le secret de Luc Vermont. Paris Cocktail Paradise était publié par As éditions, 6 rue François-Ier, Paris 8ième, sous la direction de Pierre Ulysse.

Paris Cocktail Paradise se distingue d’ailleurs de nombreux confrères par la qualité de ses dessinateurs et publiera encore d’autres BD dont La villa du mystère (1955) dans le genre “noir” mais dessinateur français inconnu, et bien sûr des romans-photos sexy.

Quelles surprises nous reservera encore une étude approfondie de ces publications ?

Prochain chapitre : Le secret de Luc Vermont par Raymond Cazanave.

Première publication de ce texte : "Detective Story - Cahier BD III", éditions Kosmopolis/VPOB, 2013.

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