Les chroniques de François Rahier

Vers les mondes inconnus :
Mondes perdus et cités lointaines dans la BD
de SF française des années 1930-1940.
Conjuguant dystopie, archéologie fantastique et cryptozoologie, récits d’exploration coloniale et odyssées aéronautiques, les dessinateurs de BD des années 1930-1940 s’inventaient un chemin original pour la SF francophone, sans Martiens ni engins spatiaux.

Une des sources de la SF est sans aucun doute le récit de voyage philosophique qui fleurit à l’aube des temps modernes, quand l’homme s’apercevant que la Terre était ronde et finalement décevante décida de s’inventer d’autres horizons. L’Utopie de Thomas More est l’un des fleurons de cette littérature ; ce monde trop parfait cependant anticipe sur certains de nos cauchemars contemporains. Cette ambiguïté se retrouve aussi dans une catégorie littéraire prisée des anglo-saxons, les histoires de « mondes perdus ». Rider Haggard avec les aventures d’Allan Quartermain et Les Mines du Roi Salomon en 1895, ou Conan Doyle et son professeur Challenger héros du Monde perdu en 1912 inauguraient le couple de l’aventurier explorateur et du savant excentrique - tout Indiana Jones était déjà là ! Mais ces mondes perdus-retrouvés, matrices de tous les dangers, sont souvent des nœuds de pulsions violentes où sous Eros se fait jour Thanatos, la figure troublante de la mort. Chez E. R. Burroughs, que ce soit dans son cycle de Tarzan ou dans Pellucidar, ces mondes perdus sont aussi des mondes sauvages préservés des atteintes de la civilisation, où le principe de plaisir règne en maître – plaisir du natif mais aussi du colon qui devient vite ivre d’or et de puissance. Dans ce cadre-là, au début des années 1930 et jusqu’à la guerre, principalement dans les illustrés français d’obédience catholique pour la jeunesse la SF devient une des variétés d’un discours colonialiste, conjuguant archéologie fantastique et cryptozoologie, récits d’explorations exotiques et odyssées aéronautiques ; les dessinateurs de BD des années 1930-1940 s’inventaient ainsi un chemin original vers la SF, sans Martiens ou presque ni engins spatiaux.

C’est manifeste dans certaines publications de Bayard, Pierrot et Cœurs Vaillants, dans l’hebdomadaire pour adultes Le Foyer – qui remplace Le Pèlerin sous l’occupation, tous catholiques, – et d’une autre manière dans le périodique collaborationniste Le Téméraire. Ce sera aussi le cas dans Robinson, quand Jacques Souriau reprendra la bande américaine « Tailspin Tommy », et en Belgique dans Bravo .

Mais la première BD française de SF est une dystopie qui nous emmène dans une cité lointaine…

Junior (1937-1938) : « Futuropolis »

Considérée en effet souvent comme la première BD française de SF, « Futuropolis » est une dystopie tirant ses sources du film de Fritz Lang Metropolis (1927) comme du Meilleur des mondes d’Huxley (1931) et peut-être aussi de la Race à venir de Bulwer-Lytton (1870). L’histoire paraît dans Junior, des n° 54 (8/4/37) à 110 (4/5/38) ; sur des textes de René Thévenin, Robert Pellos signe là son chef-d’œuvre : « Dans cent mille ans », une civilisation hautement développée aux mœurs cruelles, inhumaines, voit sa puissance remise en cause par une menace surgie des abimes, la révolte d’hommes sauvages ravalés au rang de sous-êtres. Curieusement la caste dominante est composée « des descendants des anciens hindous » – des aryens pour le dire en d’autres termes. Il y a donc également une dimension politique et d’actualité, pour l’époque, dans cette histoire qui oppose la Science à la Nature et se conclut par un cataclysme final à l’issue duquel le dernier homme (un hindou) va on le suppose filer le parfait amour avec la dernière femme, une sauvagesse blonde, dans une Terre réconciliée qui ressemble à un Eden. Mais ce retour à la terre peut faire aussi penser étrangement au très pétainiste Ravage de René Barjavel qui va paraître en 1943, avec là aussi apocalypse et retour à la terre. Les choix graphiques de Pellos, qui multiplie les cadrages audacieux faisant éclater la disposition déjà classique d’une planche de BD avec bulles et vignettes, fait aussi l’intérêt de l’œuvre. Pellos réitérera en 1940 avec « Electropolis » paru dans l’éphémère Jean-Pierre, des n° 106 (18/4/40) à 115 (20/6/40), un post-apo resté inachevé.

Bayard (1937-1938) : « Le Roi de la Cordillère »

Et les mondes perdus, alors ? Tout commence peut-être avec « Le Roi de la Cordillère » de Roger Courteville et sans doute quelques autres, paru dans Bayard en 1937 des n° 100 (25/11/37) à 147 (28/10/38), en 59 chapitres. C’est par cette étonnante histoire que la SF fait son entrée dans Bayard en 1937, et pour près d’une année. Ancien militaire, ingénieur, explorateur-aventurier, cartographe et écrivain français, Roger Courteville (1897-1963) est un véritable personnage de roman. Il avait, entre autre, déclaré avoir vu l'explorateur anglais Percy Fawcett en 1927 sur une route du Minas Gerais (Brésil), alors que ce dernier avait été déclaré disparu en pleine forêt amazonienne – à plusieurs centaines de kilomètres au nord - deux ans auparavant.

Le récit en bandes dessinées qu’il publie dix ans après dans Bayard est censé raconter ses aventures ; à lire son contenu, on peut en douter. Cette histoire composite (sans doute y eut-il plusieurs dessinateurs, et plusieurs scénaristes) commence par un naufrage, et l’arrivée d’un jeune rescapé Jean-Claude, 12 ans, à Buenos-Aires. Avec son compagnon William l’adolescent s’enfonce ensuite dans les profondeurs du Brésil à la poursuite de bandits.

La présentation, très sage au début, 16 cases régulières avec texte sous image, change brusquement, avec un autre dessinateur (et peut-être même un troisième), alors que l’intrigue bascule dans l’incongru, l’insolite, et la science-fiction : les jeunes gens découvrent l’étonnante civilisation des Incas, en avance de plusieurs siècles sur la nôtre, dans un ciel constellé d’hélicoptères, des robots incas combattant des parachutistes araucaniens, et – le sol s’ouvrant suite à un séisme – des Martiens réduits en esclavage dans des grottes souterraines etc. L’histoire se déploie à ce moment-là sur une seule image grand format avec le texte à l’intérieur. Retour à la normale à la fin : nos deux héros sur 16 vignettes à nouveau bien cadrées débarquent à New York au siège d’un journal où bien sûr on ne croit pas un mot de leur histoire !

S’il y a des Martiens, chose rare en ce temps-là dans la presse illustrée française, il y a surtout l’Amérique du sud, la mystérieuse et fascinante civilisation inca et ses supposées et fantastiques connaissances. Avec l’Égypte pharaonique, comme on va le voir, les civilisations précolombiennes constituent un terreau de choix pour l’imaginaire des auteurs de SF en herbe de cette époque d’avant l’âge d’or.

Robinson (1938-1939) : « Jean Bolide »

La série aéronautique « Tailspin Tommy », de Hal Forrest et Glenn Chaffin commence à paraître dans Robinson sous le titre « Jean Bolide » au n° 1 du périodique, le 26 avril 1936. Bande emblématique pour des journaux destinés prioritairement à des garçons passionnés d’aviation elle paraît en même temps sous d’autres titres dans Aventures, Jumbo, Bilboquet ou L’Aventureux. Le 13 mars 1938 Jacques Souriau en reprend les rênes, continuant même la bande didactique « Leçons de pilotage » publiée sous la série principale dans la presse américaine depuis les origines. Comme le note Louis Cance , « la reprise de Souriau n’a plus grand-chose à voir avec l’originale et aurait très bien pu s’intituler différemment ».

En effet, au cours de leur interminable poursuite du pirate aérien Tchang, les héros finissent par échouer dans un monde souterrain peuplé d’égyptiens gouvernés par un pharaon aux pouvoirs paranormaux qui survit depuis 5000 ans . L’effet SF est renforcé par la garde prétorienne du pirate chinois, composée d’hommes d’acier au métal « assoupli par une vie étrange » sur laquelle comme les personnages qui s’interrogent à son sujet nous ne saurons rien de plus. Depuis la découverte en 1922 par Howard Carter et Lord Carnavon de la tombe de Toutânkhamon, un engouement pour l’Égypte ancienne et une véritable égyptomanie se développent en Europe ; en 1923 Lord Carnavon meurt et commence alors à se répandre la légende de la malédiction des pharaons. Hergé s’en amuse dans Les Cigares du Pharaon en faisant figurer Lord Carnavon sous le nom de « Lord Carnaval » dans un sarcophage à la planche 14 de la première édition de l’histoire (n°3 du Petit vingtième du 19 janvier 1933) . Il y fait aussi allusion au début des Sept boules de cristal (strips des 16 et 17 décembre 1943 et première page de l’album) .

La reprise de Souriau s’arrête au n° 182 le 22 octobre 1939. Depuis le n° 174 (27/8/39) il avait opté pour un nouveau cadrage inspiré de « Futuropolis » qui était paru l’année précédente dans Junior, puis on passe de la couleur au noir et blanc, et Souriau, mobilisé, passe la main. Le nouveau dessinateur, dont le nom demeure inconnu, conserve le cadrage, mais abandonne les « Leçons de pilotage » , et conclut tant bien que mal l’histoire. Ainsi s’arrêtent ces aventures de Jean Bolide, mais nous allons très vite retrouver d’autres égyptiens antiques…

Pierrot (1938) : Des « Mondes inconnus » au « Chasseur de monstres »

Le 27 décembre 1926 paraît le tout nouveau « journal des garçons », Pierrot, avec en une « L’avion rouge », de Norbert Sevestre et Le Rallic. À l’aube de cette année 1927 qui verra les trois premières tentatives de traversée de l’Atlantique, l’épopée tragique de Nungesser et Coli, le triomphe de Lindbergh et la réitération de son exploit par Costes et Le Brix, l’histoire de ce gigantesque avion pirate capable de traverser l’océan et même d’amerrir en plein Atlantique, relève un peu à ce moment de la science-fiction. Elle augure en même temps de l’importance des thématiques aéronautiques dans les publications destinées aux garçons dans une époque qui ira de la fin des années 20 aux années 60. L’emblématique « Tailspin Tommy » de Hal Forrest et Glenn Chaffin dont nous venons de parler avait commencé à paraître le 21 mai 1928 dans la presse d’outre-Atlantique.

Mais c’est avec « À travers les mondes inconnus » de Liquois et Ferraz, une histoire qui est publiée sur 16 planches des n° 1 (2.1.38) à 16 (17.4.38) que la SF fait vraiment son entrée dans Pierrot. Qu’on en juge. Le jeune égyptologue Jean Dacier, au cours de l’exploration d’une pyramide, découvre un monde souterrain où survivent depuis 3000 ans des Egyptiens possédant une technologie étonnante ; il les aidera à affronter divers périls et participera, en particulier, à une dangereuse chasse sous-marine aux « tigres marins ». Première bande d’un Liquois encore inexpérimenté au trait naïf cette histoire ne supporte pas la comparaison avec les bandes dessinées par Le Rallic ou Marijac au même moment dans le journal. Il est à noter que Liquois reprendra pratiquement le même titre pour la BD qu’il signe dans Le Téméraire à la fin de la guerre, « Vers les mondes inconnus », une histoire démarquée de « Flash Gordon » où l’on retrouve des Egyptiens dans les dernières planches, mais dessinées par Poïvet.

« Le chasseur de monstres » de Marijac qui paraît ensuite, sur 18 planches des n° 32 (7.8.38) à 49 (4.12.38) est librement inspiré du Monde perdu de Conan Doyle. C’est l’histoire d’un jeune explorateur français, Jean Risque, qui découvre au cœur de l’Amérique latine une région préservée où survivent des animaux préhistoriques. C’est peut-être le chef d’œuvre de Marijac, dont le talent se joue avec merveilles des splendides unes en couleurs d’un Pierrot grand format qui atteint là son sommet. Marijac déclinera à l’envi son histoire et ses desseins dans Cœurs Vaillants pendant l’occupation puis Coq Hardi après la guerre, transformant Jean Risque en Jim Boum, dans « Le secret des Monts Latanas » puis « Le secret des Monts Maudits », « L’étrange croisière du Squalus » (qui se déroule sur la planète Mars !) et deux RC de Coq Hardi Album Magazine, « L’ile maudite » et « Le chasseur de monstres » etc.

Cœurs Vaillants (1941) : De « La Cité perdue » au « Secret des Monts Latanas »

« La Cité perdue », de Robert Rigot, occupe la une de Cœurs Vaillants pendant presque toute l’année 1941, des n° 1 (5.1.41) à 46 (16.11.41). Jean Cordier, « jeune colon africain » coiffé de l’emblématique casque de liège, et portant la tout aussi emblématique culotte de cheval, se voit confier par un oncle amiral la direction d’une expédition en vue de retrouver une mystérieuse cité perdue. Racisme « bon enfant » et parler « petit-nègre » obligé, antisémitisme flagrant avec l’incontournable fripier juif et l’ignoble « multimilliardaire international Hyacinthe Bronbronstein » , mauvais garçons qualifiés de « métèques », missionnaires catholiques casqués eux aussi de liège en soutanes blanches, cette bande qui préfigure parfois « Frédéri le gardian » – Jean lui ressemble, et l’aubergiste Virgile Perscadou est le portrait craché d’Ulysse – ne cache pas son côté propagande. Après de multiples péripéties l’expédition gagne l’Égypte puis la Mer rouge à destination de la mystérieuse cité ; nos héros sont guidés alors par le dankali qui aurait accompagné Henri de Monfreid dans ses célèbres expéditions . On comprend alors qu’ils sont sur la trace de l’antique royaume de Salomon et de la reine de Saba, la cité d’Antikous, où ils arrivent in extremis dans les dernières pages de l’histoire. Accueillis par le patriarche Autokratès, ils découvrent un monde utopique mi-antique mi-biblique manifestement peuplé de blancs et doté d’une technologie étonnante dont la « puissance ne brise que les machines orgueilleuses, les cœurs égoïstes… les âmes sans vaillance ! » Interrogés à leur tour sur ce qui fait leur force, Jean et ses amis répondent : « Notre secret ? Le voici : Nous sommes jeunes, nous sommes français, nous sommes unis, nous sommes chrétiens ». On ne fait pas mieux en matière de prosélytisme.

Ce n’est pas du meilleur Cœurs Vaillants. Pendant ce temps-là, en dernière page Jim Boum poursuit sagement son chemin : « L’irradium X-40 » tire à sa fin et le héros fétiche de Marijac fait la connaissance du mystérieux professeur Latanas . Celui-ci va l’entraîner au cœur de la jungle amazonienne dans un monde perdu peuplé de monstres préhistoriques et de tribus hostiles ; une mystérieuse civilisation indienne veille au « pays de l’oiseau sacré » sur ces animaux. L’histoire, riche en péripéties et en images bien rendues de la jungle et des combats de monstres, manque de clarté : nous ne saurons rien de l’homme blanc appelant au secours du haut de la tour crénelée qui domine le pays des monstres, remplacé dans la planche suivante par un indien tirant à la mitraillette du haut de la même tour. Et il n’y aura pas de réponses dans les nombreuses reprises de l’histoire que Marijac publiera ensuite, sous des titres et des supports divers et variés. « Le secret des monts Latanas » parut dans Cœurs Vaillants, des n° 52 (28/12/41) à 28 (12.7.42) .

Le Foyer (1941-1943) : « Joë Typhon »

Édité par la Bonne Presse repliée à Limoges, Le Foyer continuait la publication des aventures de « Pat’Apouf, détective » de Gervy qui avaient commencé à paraitre dans Le Pèlerin en 1938. En complément, l’auteur y livra une bande dessinée de SF, « Joë Typhon », une exception dans son œuvre . Cette histoire peu connue et jamais rééditée parut sous la forme de bandes verticales en bichromie des n° 3313 (2-2-41) à 3442 (1-8-43) du journal, 172 bandes de trois vignettes au total. Le Foyer, comme Le Pèlerin, était une publication destinée aux adultes, les parents des enfants qui lisaient Bayard et Bernadette, d’où la violence non contenue de l’action qui y est mise en scène. Joë Typhon est un sportif de haut niveau, comme on dirait aujourd’hui. Avec son coach Jack ils sont sollicités par un étrange professeur pour participer à une expédition au cœur de l’Etna, un volcan à l’intérieur duquel, passée la barrière de la lave, pense l’homme de science, ils découvriront peut-être une autre civilisation.

Ce voyage au centre de la Terre amène effectivement les deux aventuriers, munis au départ des combinaisons ignifugées qu’a mises à leur disposition le savant, dans un monde à la fois médiéval et futuriste, avec châteaux forts, tournois à cheval, mais aussi tanks et aéronefs, où ils combattront la tyrannie et libèreront les opprimés jusqu’à une catastrophe finale à l’issue de laquelle Joë se réveillera avec entre les mains le Voyage au centre la Terre de Jules Verne sur lequel il s’était endormi. Une façon de montrer peut-être que la SF n’était pas un genre très sérieux – mais les appels à résister à l’oppression résonnent d’une manière particulière dans ce type de publication, et à cette époque. Quoi qu’il s’en défende , l’auteur, au début de son histoire, semble bien avoir été influencé sur le plan du scénario tout au moins par les premières planches du dimanche du « Flash Gordon » d’Alex Raymond…

Bravo (1942-1944) : « Le Rayon U »

Jacobs avait terminé le « Flash Gordon » publié par l’hebdomadaire belge quand les planches américaines commençaient à se faire rares. Devant le succès de son « Gordon l’intrépide », l’éditeur lui demanda une autre série, originale cette fois-ci, car un litige s’annonçait avec King Features. Clone de « Flash Gordon » préfigurant les aventures de Blake et Mortimer qui vont paraître dans Tintin à partir de 1949, ce « Rayon U », malgré ses naïvetés, la raideur de son dessin encore, son intrigue conventionnelle, est une œuvre de qualité, la seule parmi toutes celles que nous recensons dans cet article à avoir été constamment rééditée ; la notoriété de l’auteur y est pour quelque chose, et un éditeur belge a même cru bon de lui donner une suite récemment, « La Flèche ardente » . Parue des n° 5 (4/02/1943) à 15 (13/04/1944) l’histoire coche toutes les cases de notre problématique : une Terre du futur divisée entre deux superpuissances opposées, l’Austradie totalitaire (le camp du mal) et la Norlandie « occidentale » ou plus précisément anglo-saxonne (le camp du bien, le serviteur de l’un des héros est un Indien enturbanné), cryptozoologie (avec en particulier la présence d’hommes-singes), technologie fantaisiste et rôle important d’une aviation désuète, et surtout fascination mêlée d’empathie pour une étrange civilisation précolombienne dans l’air du temps (« Les sept boules de cristal » d’Hergé commencent à paraître dans Le Soir le 16 décembre 1943). Ce « Rayon U » est peut-être l’apogée d’un genre qui va briller de ses derniers feux avec le sulfureux space opera « Vers les mondes inconnus » de Liquois qui commence à paraître en France à peu près en même temps.

Le Téméraire (1943-1944) : « Vers les mondes inconnus »

Un vaisseau spatial terrien aborde une planète lointaine peuplée de créatures étranges, humains, semi-humains, hommes-singes, hommes chauve-souris, etc. ; l’histoire est bien évidemment inspirée de « Flash Gordon », le célèbre space opera d’Alex Raymond paraissant aux Etats-Unis depuis le 7 janvier 1934, et diffusé jusqu’au début de la guerre en France dans divers supports et en Belgique dans Bravo. Fleuron du Téméraire, la bande signée Liquois parut des n°1 (15.1.43) à 38 (1.8.44) du journal. Elle a été l’objet de vives critiques à cause de son antisémitisme et de son racisme. Certes les hommes singes sont aussi présents dans « Le Rayon U » de Edgar P. Jacobs qui paraissait en Belgique au même moment. Mais dans Le Téméraire, les créatures à la peau jaune ont de plus des ailes de chauves-souris, travers supplémentaire et rédhibitoire qui les exclut totalement de l’humanité. Héritant des quatre dernières planches sans parvenir à terminer l’histoire, car la guerre, elle, se termine et que la publication s’arrête dans Paris libéré, Poïvet l’imprégnera de son trait personnel, et, manifestant sans doute par là sa désinvolture par rapport à son sujet, introduira dans cette aventure située sur une planète lointaine des décors empruntés à l’Egypte ancienne – clin d’œil ou pied de nez à la première version de la BD publiée par Liquois et Ferraz dans Pierrot en 1938, qui se déroulait dans une cité souterraine où régnaient des pharaons.

La boucle est bouclée. On sort enfin du monde clos de l’occupation pour chercher dans l’espace infini une nouvelle frontière, « ouvrir de nouveaux horizons » à l’imaginaire de la bande dessinée. Après la guerre, en France, en Belgique, en Italie, les auteurs de BD de SF vont s’émanciper des modèles anglo-saxons et accompagner par leurs histoires, la conquête de l’espace, la vraie, passant du divertissement à une approche plus rigoureuse, des aventures d’Oscar Hamel dans Cœurs Vaillants à celles de l’Épervier bleu dans Spirou et bien sûr de Tintin – qui tous ont marché sur la Lune ! –, du space opera à la hard science, de Giordan à Poïvet, des « Pionniers de l’espérance » qui paraissent dans Vailllant à « Tony Sextant » dans Bayard ou « Alain Cardan » dans Spirou en France et en Belgique, aux « Naufragés de l’univers » de Bragaglia et Cedroni que publiait le Pioniere en Italie . Une histoire pleine de rebondissements, de vicissitudes également, sur laquelle nous reviendrons.

François Rahier
20 avril 2025

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