Les chroniques de François Rahier
COQ HARDI (1944-1963) DE LA RÉSISTANCE À L'ÉCOLOGIE
Le 6 août 1944 paraissait le dernier numéro du
CŒURS VAILLANTS
de la guerre, un petit format poche de 16 pages agrafées sous le titre
"Cœurs vaillants en vacances ». Moins d'une semaine auparavant, le 1er août,
LE TÉMÉRAIRE
avait cessé lui aussi sa parution. Trois semaines après, le 20 novembre,
naissait des presses du Mouvement de Libération Nationale, à Clermont-Ferrand,
le n° 1 de
COQ HARDI.
Marijac avait travaillé au
CŒURS VAILLANTS
réputé pétainiste jusqu'au numéro du 25 juin 1944, ce même 25 juin dont datait
la première feuille clandestine qu'il diffusait au même moment dans les maquis
d'Auvergne,
LE CORBEAU DÉCHAÎNÉ, qui deviendra
LE CORBEAU LIBÉRÉ
à la libération de Clermont-Ferrand le 25 août. C'est là qu'il avait donné
vie pour la première fois à ces personnages emblématiques que sont devenus
« Les Trois Mousquetaires du Maquis ». Moins d'un an après il accueillait
dans COQ HARDI le transfuge le plus célèbre du TÉMÉRAIRE,
Auguste Liquois. On le voit, l'histoire de la bande dessinée, dans ces années,
et précisément ces mois-là, de fin de guerre, de libération et d'épuration,
était loin d'être simple. Des titres disparurent, ou durent (re)faire leurs
preuves, des auteurs furent mis en pénitence, en quarantaine, ou, parfois,
lourdement sanctionnés. COQ HARDI s'imposa vite alors comme le
périodique issu de la Résistance vraiment fait pour la jeunesse de France,
« vivant sans être gangster, instructif sans être rasoir, moderne sans être
zazou » comme le disait une publicité de l'époque
qui le situait à égale
distance des « mauvais illustrés » de l'avant-guerre et des magazines
confessionnels qui reparaissaient et allaient conjuguer leurs efforts avec
ceux du Parti communiste pour combattre la violence dans la bande dessinée.
Contre vents et marées, pendant vingt ans
ou presque, Marijac, éditeur
à plein temps, dessinateur très souvent, mais presque toujours rédacteur
ou scénariste, allait parvenir à maintenir son titre…
La guerre et l'après-guerre, la Résistance
Publié après la libération de Paris, mais dans une France encore en guerre,
et sur les presses du MLN
, COQ HARDI
est d'abord en effet l'illustré
de la Résistance. Rédigés et dessinés presque uniquement par Marijac,
les premiers numéros portent la marque de cet engagement : « Les Trois
Mousquetaires du Maquis » par exemple exaltent avec un sens de la dérision
démarqué des célèbres « Pieds nickelés » de Louis Forton
, les exploits de
l'Avocat (le baratineur), Pinceau (l'artiste) et la Torpille (l'intellectuel) ;
l'occupant y est traité sans aménité, la charge est souvent lourde, le
patriotisme parfois cocardier, le mot, à l'époque, n'ayant sans doute pas
la même signification qu'aujourd'hui – et surtout dans un journal qui portait
un titre aussi explicite. Mais Marijac pouvait en même temps écrire « Ça,
c'est français »
, une chevaleresque histoire
d'aviation mettant en scène
pilotes français et allemand. Récits vécus de maquisards (« Le fusillé vivant »)
ou hommage à De Gaulle, alternent avec des histoires drôles de dessinateurs
qui rejoignent alors Marijac, Flip (« Le piège à Fritz ») ou Alain Saint-Ogan
avec ses « P'tites histoires ». Une première grande série réaliste
, « Tonnerre dans le Pacifique »,
voit aussi le jour, annonçant l'épopée
aéronautique que Marijac et Mathelot tireront plus tard du chef d'œuvre
de Pierre Clostermann, célèbre aviateur français et héros de la seconde guerre
mondiale, « Le Grand cirque ». Peu après viendront « Chasse aux corsaires »
de Cazanave, consacré à la guerre maritime, le roman « Espions à croix gammée »
(signé Yves Dermèze
) ou « Maquis contre S.S. » dessiné
par Poïvet, une bande préface à la saga
du célèbre « Colonel X ».
La guerre est toujours présente dans « Guerre à
la Terre », une aventure de science-fiction qui débute le 20 mars 1945,
mais ce n'est pas tout à fait la même… Les Japonais y font alliance avec
les martiens ! Dessinée par Liquois sur un scénario de Marijac cette longue
série se poursuivra deux ans durant sur près de 100 planches ; mais, pour
la « 2ème époque », Poïvet remplacera Liquois au dessin. C'est à propos
des droits d'auteur de cette bande dessinée qu'un différend avait amené
la rupture entre Liquois et Marijac, et non, comme on le lit souvent,
parce que ce dernier aurait appris sa collaboration au TÉMÉRAIRE.
Poïvet, d'ailleurs, avait aussi remplacé Liquois sur le dessin de la série
« Vers les mondes inconnus » pour les derniers numéros du TÉMÉRAIRE
pendant l'été 1944. Le Rallic, Érik, et même Marcel Turlin (« Mat »)
qui rejoindraient plus tard l'équipe, avaient également travaillé au magazine
publié à Paris sous le contrôle des Allemands. Marijac était au courant et
savait sans doute également que Liquois avait été évincé de la rédaction
du VAILLANT communiste pour cette raison, de même qu'il a toujours
soutenu le dessinateur humoristique Érik qui avait eu des difficultés pendant
la période de l'épuration.
L'allégeance à ce que De Gaulle appelait « une certaine idée de la France »
et à un républicanisme laïque, qui le démarque des publications d'inspiration
catholique (BAYARD et CŒURS VAILLANTS en France, SPIROU
en Belgique) et aussi communiste (VAILLANT), marquera tout du long
COQ HARDI dont un personnage emblématique va être le Colonel X – le
seul sans doute avec Jim Boum à vivre véritablement des aventures à
suivre qui ont été régulièrement reprises en albums, par Marijac lui-même
ou par Jacques Glénat l'éditeur grenoblois, et l'un des plus attachants
personnages réalistes mis en scène par Marijac. Il commence sa carrière
en pleine guerre, sous le pinceau de Poïvet d'abord ; Mathelot, Gloesner
et Kline se succéderont ensuite au dessin sur les scénarii de Marijac.
Le rédacteur en chef de COQ HARDI croyait sincèrement que les guerres
coloniales qui commençaient alors étaient une continuation de la lutte
des Français contre l'occupation allemande. C'est donc tout naturellement
que le Colonel X passera des maquis de la France occupée à l'Indochine et
plus tard aux confins tibétains où il portera secours à un diplomate français
fuyant les chinois ; son parcours s'achève quelques jours après Diên Biên Phu,
c'est une page de l'histoire de France qui se tourne…
Les sept vies de COQ HARDI, et quelques autres…
Comme les animaux de la légende, COQ HARDI eut sept vies, peu ou prou.
Après LE CORBEAU DÉCHAÎNÉ, la feuille clandestine qu'il diffusait dans les
maquis d'Auvergne, Marijac publia presque à lui tout seul sur les presses
du MLN cette fois-ci, à Clermont-Ferrand, dix numéros d'un périodique de
quatre pages, quelquefois six, qui tenta de paraître tous les dix jours
(1ère série, édition du MLN dite de Clermont : du N° 1 du 20 novembre 1944
au N° 10 de mars 1945). La guerre finie, des difficultés économiques, et
politiques, empêchant le journal de paraître, Marijac réutilisa du matériel
en grande partie issu du CŒURS VAILLANTS de l'avant-guerre et de la
guerre pour éditer régulièrement de petits fascicules à l'italienne ;
ce fut COQ HARDI ALBUM MAGAZINE principalement consacré aux aventures
de « Jim Boum » (71 albums paraissant à partir de 1945 mais avec une
périodicité de moins en moins régulière jusqu'en 1950). En avril 1946,
COQ HARDI était publié de nouveau, dans une édition nationale,
à Paris, par la SELPA, Société d'éditions littéraires, politiques et
artistiques que Marijac avait fondée pour éditer les albums magazines
(1ère série, suite, édition SELPA, dite de Paris : d'un nouveau N° 10
du 1er avril 1946 au N° 243 du 23 novembre 1950). Après une embellie,
et un passage de 8 à 12 pages puis 16 dont quatre en couleurs, des difficultés
réapparurent. Et Marijac dut vendre la SELPA aux éditions de Montsouris.
Une nouvelle série vit alors le jour qui maintint son format et sa
pagination pendant près de 4 ans (2ème série, Éditions de Montsouris :
du N° 1 du 30 novembre 1950 au N° 196 du 26 août 1954).
COQ HARDI résiste mal à la concurrence, sa formule vieillit aussi
sans doute. Marijac doit se soumettre aux impératifs éditoriaux qui vont
condamner la revue à une lente agonie : COQ HARDI devient un bimensuel
de 36 pages et ne conserve plus qu'une couverture en couleurs, son contenu
étant principalement fait de vieilles histoires de Jim Boum (3ème série,
Éditions de Montsouris : 18 numéros bimensuels, du N° 1 du 8 septembre 1954
au N° 18 du 15 mai 1955).
Ne voulant pas perdre un lectorat devenu adolescent,
celui des jeunes garçons nés au début de la guerre, Marijac imagine alors
une formule inédite, consacrée à l'apprentissage ou ce qu'on appellerait
aujourd'hui l'orientation professionnelle ; Montsouris soutient l'opération :
COQ HARDI JE SERAI parait pendant un peu plus d'un an, chaque numéro
proposant tous les mois sur 36 pages noir et blanc un dossier sur un métier,
avec très peu de BD (4ème série : Éditions de Montsouris : 16 numéros mensuels,
du N° 1 du 15 juillet 1955 au N° 16 du 15 septembre 1956).
Nouvel échec.
Marijac jette l'éponge, se lançant avec Dino Del Duca dans une autre aventure
éditoriale. Mais il a gardé sous la main les éditions de Châteaudun qui lui
permettent de continuer à diffuser le matériel dont il a conservé les droits.
Un an après, lui qui publie maintenant MIREILLE, la nostalgie le reprend
d'un journal pour garçons ; et COCORICO, petit mensuel de 36 pages
noir et blanc avec une couverture en couleurs et le logo inversé des anciens
COQ HARDI, un coq tricolore regardant cette fois-ci à gauche, et
contenant surtout des reprises, ou des reprises de reprises, va tenir le coup,
vaillamment… un peu plus d'un trimestre, pour disparaître vite corps et
biens (Éditions de Châteaudun : du N° 1 du 1er août 1957 au N° 4 du 1er
novembre 1957).
Il faudra attendre cinq ans pour qu'il revienne, une dernière
fois, et toujours aux Éditions de Châteaudun, sous un petit format mensuel,
offrant des reprises encore, bien sûr, mais aussi un inédit, un chant du
cygne, la très belle histoire de « Coq Hardi », un jeune blanc élevé par
des indiens, un scénario de Marijac illustré par Dut (5ème série :
Éditions de Châteaudun : format poche de 84 pages en noir et blanc ;
12 numéros mensuels, du N° 1 du 5 mars 1962 au N° 12 du 5 février 1963).
Après, quelque chose de COQ HARDI revécut dans l'éphémère mensuel
sport et BD que Marijac lança fin 68 avec Roger Couderc et d'autres
journalistes exclus des médias français pour fait de contestation :
ALLEZ… FRANCE ! D'une résistance à l'autre, en somme… (Éditions
du Centre : 56 pages en bichromie, N° 1 – Décembre 1968 au N° 5 – Avril 1969).
De Dumas… à Dumas
Marijac ne s'appelait pas Dumas pour rien. Déjà, son trio de pieds nickelés
du maquis rendait hommage à l'autre Dumas, Alexandre, l'auteur des Trois
mousquetaires, du Comte de Monte-Cristo, et de tant d'autres romans
d'aventures historiques ou de cape et d'épée. Les Trois mousquetaires du
maquis l'accompagnèrent tout au long de l'aventure de COQ HARDI, et
au-delà. Démilitarisés, mais non démobilisés, ils continuèrent avec humour
à traquer l'injustice et la bêtise, dans les maquis de l'administration
en particulier. Ils eurent même droit à un fascicule séparé qui parut 13 fois.
Devenus un temps « Les mousquetaires modernes », puis « L'Étroit mousquetaire »
en hommage au film muet de Max Linder, ils continuèrent leur carrière en
Amérique, sous le pinceau de Claude Marin (« Les trois mousquetaires
du Far West »)
.
Avec le Rallic, Marijac réalisa deux grandes séries historiques démarquées
d'Alexandre Dumas, « Le Capitaine Flamberge », qui se déroule au temps des
guerres de religion, et « Le Fantôme à l'églantine », où un mystérieux
justicier républicain s'élève contre les atrocités de la terreur face à
des chouans fatigués eux aussi des guerres civiles. Il adapta également
« Les mousquetaires du roi », pastiche du Vicomte de Bragelonne d'Alexandre
Dumas père, avec au casting Partacan, Carcas, Castillac et Brunot, reprise
française d'un comics anglais de Edward Holmes et W. Bryce-Hamilton,
publiée par KNOCKOUT en 1949 (« The three musketeers - The adventure
of the iron mask »), une série centrée sur l'énigme du Masque de fer à
laquelle COQ HARDI consacrait un épisode des « Mystères de l'histoire »
de Louis Saurel et Le Rallic au même moment (1954). Enfin, on retrouve le
panache des personnages de Dumas dans « Roland prince des bois » (dessins de
Kline), longue bande réaliste, équivalent hexagonal de Robin des Bois
dont l'action se déroule à l'époque de Du Guesclin., et « Le chevalier
Tartol » (sur des dessins d'Érik), bande médiévale héroï-comique.
L'épopée des frères de la côte
COQ HARDI est l'hebdomadaire français qui consacra certainement
en aussi peu de temps le plus grand nombre de planches aux récits de cape
et d'épée, mais aussi et surtout aux histoires de corsaires, allant jusqu'à
en publier deux séries différentes par numéro quelquefois, sans compter les
romans ou les nouvelles. Il emprunta bien sûr des récits aux agences
étrangères qui lui fournissaient une partie de son matériel : « Capitaine
Flamme » de Septimus E. Scott et Leonard Matthews, classique anglais
de la flibuste dont l'élément féminin n'est pas absent, contrairement
aux archétypes du genre, « Le Galion d'argent » de Peter Jackson, autre
série anglaise, « Capitaine Jacques » du néerlandais Pieter Kuhn qui
contint une fois une histoire de pirates (l'aventure de « Peer le pirate »),
« Sous le pavillon noir » de l'italien Caprioli enfin …
Mais la plus belle
aventure de flibuste était française, ce fut celle du « Capitaine fantôme ».
Sur un scénario de Marijac, deux ou trois dessins de lui, mais surtout
les magnifiques illustrations expressionnistes en noir et blanc de Cazanave,
cette saga flirtant avec le fantastique enchanta les jeunes lecteurs, et
les plus âgés, près de trois ans durant, sur presque une centaine de planches.
Avec Mathelot, quelques années plus tard, Marijac devait lui donner une suite.
Ce fut « Le Fils du boucanier », qui relatait l'équipée de ces aventuriers
européens traquant le bœuf sauvage aux Antilles, et vivant du commerce des
peaux et de la viande fumée. Chassés par les anglais et les espagnols ils
avaient fait alliance avec les flibustiers de l'île de la Tortue et loué leurs
services à la France qui les protégea. L'épopée de ces « frères de la côte »
(le mot flibustier est lui d'origine anglo-néerlandaise) fut ici servie
à merveille par un Mathelot alors au sommet de son art ; l'histoire passait
souvent en première page, bénéficiant de grandes vignettes en couleurs dans
lesquelles le dessinateur se livrait à d'authentiques compositions plastiques.
Le scénario, très fouillé de Marijac était d'une grande vraisemblance
psychologique, sans manichéisme aucun, et il passait sur l'histoire comme
un air de liberté, assez dans la manière de l'auteur, toujours résistant dans
l'âme. Comme pour conclure, Marijac reprit en 1955, et sur des dessins de
Max Lenvers, l'intrigue de son « Capitaine Mystère », qui avait déjà été,
pendant la guerre, le héros d'une mystérieuse collection de RC qui n'eut
qu'un numéro et parut sans nom d'éditeur : un coda à l'ensemble. L'esprit
libertaire sous-tendant l'aventure héroïque des frères de la côte, étaient
les points forts de ces histoires. L'humour aussi parfois, lorsqu'en même
temps que « Capitaine fantôme », Marijac reprenait, avec la complicité de
Calvo, son personnage comique du CŒURS VAILLANTS d'avant-guerre,
« Pat'Folle capitaine corsaire ». Cette histoire dans l'histoire, marginale,
jamais reconnue véritablement, fraya à sa manière un territoire à l'imaginaire,
mineur certes, mais, comme le western ou la SF, porteur d'une double
aspiration – résistante – d'ouverture à l'infini et de liberté.
Jim Boum chevalier du Far West
Le 10 janvier 1945 le libertador mexicain « Poncho Libertas », inaugurait
une résistance d'un nouveau genre. Cette longue histoire, illustrée par
Le Rallic, ramenait Marijac vers des territoires qu'il n'avait pas cessé
d'arpenter depuis les années d'avant-guerre, un Far West qui était beaucoup
plus que le Far West des cowboys et des indiens, la prairie, le Wild Wild West,
les solitudes du grand nord canadien ou la jungle amazonienne. Ami de Joë
Hamann (1883-1974), qui fut un authentique cowboy, rencontra Buffalo Bill et
tourna dans de nombreux westerns, Marijac ancra résolument son journal dans
une indianité qui n'eut pas son équivalent dans la presse jeunesse de l'époque.
Avec Hamann, bien sûr, qui publia de nombreuses chroniques qu'il illustrait
souvent lui-même. Avec des bandes importées des USA comme le célèbre
« Red Ryder » que COQ HARDI partagea un temps avec SPIROU, ou
« Jed Cooper », qu'il francisa au-delà de toute vraisemblance, transformant
un soldat anglais du temps des guerres indiennes en un patriote canadien
luttant contre ces mêmes anglais qui restaient pourtant vêtus comme des
soldats français ! Avec « Sitting Bull » aussi, celui qu'il appelait le
« Napoléon rouge » et en hommage auquel il écrivit la plus longue saga
de COQ HARDI, une épopée mise en images par Dut sans interruption
pendant près de cinq ans sur 277 planches !
Avec Jim Boum surtout, dont les aventures recommencèrent à voir le jour
dès 1945, quand les petits ALBUM MAGAZINE COQ HARDI au format à
l'italienne remplacent le quasi hebdo en quête d'autorisations et de papier
entre mars 1945 et avril 1946. Le personnage occupe la une de 44 des 71
numéros parus alors. Jim Boum avait été un des premiers cowboys de papier
apparus sur le vieux continent. D'abord figure humoristique de plusieurs
séries parues dans CŒURS VAILLANTS entre 1931 et 1933, il opéra sans
difficulté un passage au style réaliste et occupa le devant la scène jusqu'à
la fin de la guerre. Comme d'autres cowboys davantage célèbres plus tard
(le « Jerry Spring » de Jijé par exemple, que publiait SPIROU),
Jim Boum défendit la cause indienne, les droits de l'homme contre la loi du
lynch, et se préoccupa aussi des équilibres naturels (ce souci écologique
frappe aujourd'hui ceux qui ont encore la curiosité de feuilleter
COQ HARDI). Un seul album, paru chez Glénat en 1973, a rendu hommage
à ce personnage : Le Mustang fantôme suivi de Le Saumon d'argent (ce
dernier particulièrement représentatif exaltant la lutte des Indiens
contre un magnat de la conserve du saumon qui exploite sans vergogne leurs
zones de pêche). Desservi par les multiples reprises ou adaptations (souvent
en très petit format et en noir et blanc), critiqué pour la maladresse de
son trait quelquefois (par Jacques Sadoul entre autres), victime surtout
de la désinvolture de son créateur qui utilisa son personnage fétiche pour
des aventures aux limites du western ou carrément de science-fiction,
encombré aussi d'un patronyme peu sérieux (que Marijac tenta par deux fois de
modifier
), Jim Boum est bien oublié aujourd'hui.
Seules les collections de
CŒURS VAILLANTS et de COQ HARDI de ces années là peuvent donner
une idée du talent de Marijac, de son art du cadrage tout particulièrement,
et de sa maîtrise de la couleur.
Le modèle indien, l'Écologie
Le qualificatif de « chevalier » souvent accolé au nom de Jim Boum – et qu'au
gré des circonstances Marijac modulait en « chevalier du Far West »,
« chevalier des neiges » ou « chevalier de l'air » quand il était par exemple
aux commandes d'un aéroplane – semble ancrer le personnage, et ce qu'il
représente, dans l'idéologie du scoutisme, très prégnante dans les publications
de l'époque destinée à la jeunesse. D'autant que Jim Boum est parfois qualifié
de « scout », – mais c'est au sens américain d'éclaireur. Il faut rappeler que
les illustrés pour la jeunesse, sans doute pour répondre aux critiques qui
leur venaient de tous bords à l'époque, s'étaient empressés de fédérer leurs
jeunes lecteurs en groupes, clubs, etc. souvent influencés par l'idéologie
scoute, relayée au même moment en France par la Collection Signe de Piste
des Éditions Alsatia, avec les célèbres romans de Serge Dalens illustrés par
Pierre Joubert. Ce fut d'abord le cas de la presse catholique, avec
CŒURS VAILLANTS qui organisait ses lecteurs en équipes à mi-chemin
entre le patronage d'église et les scouts, avec uniformes, oriflamme et
camps de jeunesse, et, plus tard avec BAYARD, plus proche du scoutisme
officiel, dont le fameux « Chevalier noir » s'adressait toutes les semaines
aux jeunes lecteurs. Dans des publications moins engagées sur un plan
confessionnel, le souci demeurait encore de ne pas laisser les enfants
oisifs : après l'école, les devoirs, lisait-on dans PIERROT, apprenez
à bricoler, faites du sport en club, ou bien initiez-vous au pilotage (ainsi
naquirent les « Pierrots-aviateurs ») ; dans ROBINSON, plus neutre et
proposant surtout des bandes dessinées américaines, un « capitaine »
s'adressait cependant chaque semaine aux « robinsons », et il y eut même,
à un moment, un « chef pilote » pour des « robinsons aviateurs » ! Dès 1938
SPIROU proposa à ses lecteurs de rejoindre les Amis de Spirou,
les célèbres ADS, et, pendant la guerre, GAVROCHE organisa aussi ses
lecteurs en Amis de Gavroche, auxquels ils proposaient des activités
éducatives, Dans une perspective sensiblement différente, non confessionnelle,
et sans doute influencée par les mouvements de jeunesse fascistes et nazis,
LE TÉMÉRAIRE organisa à son tour un « Cercles des téméraires » auquel
un « Prince téméraire » donnait chaque quinzaine ses consignes.
Rompant avec tout ça, Marijac fonda une tribu, celle des Coq hardis,
dont il se proclama le « Sachem sans plume », du nom d'un de ses personnages.
Chaque membre devait se choisir un totem et s'investir dans une activité liée
au sport et à la nature. Toutes les semaines, sur une pleine page de
rédactionnel très souvent, la « Tribu des Coq hardi » publiait ses infos,
donnant le nom des nouveaux membres, proposant des jeux, des concours,
des compétitions sportives, et certains se faisaient un point d'honneur
d'envoyer leur photo, torse nu, le chef emplumé et le visage parfois tatoué.
Le plus célèbre de ces « Coq hardi » se nommait Jacques Chirac, il deviendrait
un jour Président de la République française. Né en 1932 il avait rejoint la
tribu dès 1946 sous le totem de « Bison impétueux » (on trouve l'annonce de
son adhésion dans le n° 14 du journal).
Bien sûr le totem des Coq hardis
les rapproche des boyscouts, mais sans les tenues paramilitaires et une
référence explicite à l'Église. Bien sûr, on ne se contente pas dans la tribu
des Coq hardis de bricoler, de faire du camping ou d'apprendre à piloter :
la droiture morale y va de pair avec la recherche d'un bien être physique.
Mais l'éthique n'est plus celle de la chevalerie du Moyen-âge : Marijac va
chercher son modèle dans ces peuples qu'on nomme encore sauvages, qu'on a
longtemps pourchassés et tenté d'exterminer, et que le cinéma va pour
la première fois défendre ouvertement avec La Flèche brisée de Delmer Daves
en 1950
. Jim boum avait un peu d'avance…
Animé par le souci de
déconfessionnaliser, de « laïciser » son journal – n'oublions pas qu'il
vient de CŒURS VAILLANTS – Marijac invoque plus souvent le Grand
esprit que Dieu le père, même si des personnages de prêtres apparaissent
parfois dans ses histoires, et s'il consacre, une fois, une « une » à un curé
de choc : « Plongeant de 35 mètres de haut l'abbé Simon entre dans l'eau à plus
de 100 kms à l'heure » (16 octobre 1952, illustration de Mathelot)
.
Les Coq hardis étaient passionnés d'aviation, comme beaucoup de jeunes garçons
à l'époque, et le journal tient une rubrique très régulière sur ce sujet,
sous la plume de Noël Gravelines qui s'occupait déjà de ce type de pages
dans PIERROT avant-guerre. Il n'y eut cependant que peu de séries
consacrées à des aventures aériennes : Jim Boum quelquefois prit l'avion,
et même un étrange avion-fusée qui le conduisit sur la planète Mars ;
la guerre du Pacifique, et surtout l'aventure héroïque du pilote français
Pierre Clostermann, inspirèrent davantage Marijac et Mathelot ; il y eut aussi
la reprise de « L'Ali d'argente » italienne de Guerri, Volvo et Roudolph.
Les Coq hardis étaient sportifs, surtout, et Marijac avait invité à la barre
de sa rubrique sports Marcel Hansenne, athlète de haut niveau, basketteur,
et journaliste au PARISIEN LIBÉRÉ et à L'ÉQUIPE. Marijac a
consacré aussi au sport, à tous les sports ou presque, quelques unes de
ses plus belles histoires, la boxe avec Leguen (« Champion courageux »)
ou Pellos (« Marcel Cerdan »), l'alpinisme ou le ski avec Mathelot
(« Choucas, l'homme des abîmes » ou « La dernière cordée ») ou Gloesner
(« Schuss »), le basket avec Gloesner encore (« L'Équipe »), ou l'automobile
avec Mathelot toujours (« Le Raid Alaska – Terre de feu »), le cyclisme,
la plongée sous-marine, etc. – en prenant aussi le parti d'en rire avec
Mat (« Baby Baluchon athlète complet »).
Mais par-dessus tout peut-être
les Coq hardis, indiens dans l'âme, étaient écologistes avant la lettre,
écologistes sans le savoir. Marijac fit plusieurs voyages aux États-Unis,
emmenant avec lui quelques jeunes lauréats de concours organisés par
l'hebdomadaire, leur faisant traverser les grandes plaines, découvrir
« le Far West d'aujourd'hui », rencontrer d'authentiques peaux-rouges –
le dernier voyage faisant l'objet d'une longue et symbolique relation
tout au long des douze derniers numéros de COQ HARDI devenu un mensuel
petit format en 1962-1963. Et pendant longtemps (7 ans, 380 planches),
le mentor de papier que choisit le Sachem sans plume pour ses jeunes lecteurs fut le reporter photographe « Mark Trail », célèbre personnage américain de Ed Dodd, qui vécut des aventures innombrables dans la Forêt perdue au plus près d'une nature sauvage qu'il s'efforçait de préserver. Souvent, au premier plan des vignettes en noir et blanc de cette série dont le trait avait une précision chirurgicale, un écureuil ou un coq de bruyère refont placidement des gestes immémoriaux, tandis que, plus loin, les hommes s'agitent…
COQ HARDI s'éteignit dans ce début des années 1960, où, après le Vietnam,
l'Algérie, quelque chose d'un long « après-guerre » était en train de finir.
« Chiche » disait Marijac en 4e de couverture du dernier numéro de la
dernière série de son journal, en février 1963, promettant sous ce titre
le retour prochain d'un magazine de l'exploit, « dynamique, sportif avec
des histoires véridiques à vous couper le souffle ». Il ne parut jamais,
mais l'idée, et le souffle, un petit peu, en passa dans l'éphémère
ALLEZ, FRANCE ! des années 1968-1969. De même qu'il n'oublia jamais
les indiens et la forêt perdue dans la suite de sa carrière d'éditeur :
les 12 numéros du PF MARK TRAIL (1964-1965) et les 12 autres de
SITTING BULL (1970-1971) en témoignent.
François Rahier, 12 novembre 2011
parution originale : « Coq Hardi : dalla Resistenza all’ecologia »
in Fumetto n° 89, Reggio Emilia (Italie), mars 2014 revu pour l'édition
française le 26 septembre 2023.
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