Les chroniques de François Rahier

Jim Stalwart, de Bruce Cornwell :
Un capitaine oublié
Souvent oublié des rétrospectives, « Space Captain Jim Stalwart » de Bruce Cornwell – qui n’eut qu’une brève existence dans le Junior Mirror britannique entre septembre 1954 et février 1956, et même pas trois épisodes complets ! – reste pourtant dans la mémoire des petits Français qui lisaient Pierrot en 1955-1957. Trop jeunes pour avoir suivi dans Cœurs Vaillants, Coq Hardi, Spirou ou Tintin les équipées lunaires ou martiennes d’Oscar Hamel (F.-A. Breysse) , de Jim Boum (Marijac) , de L’Épervier bleu (Sirius) ou de Tintin , peu familiers encore du PF Météor d’Artima où commença à paraître en 1953 la saga des « Conquérants de l’univers » de R. Giordan , ils découvraient avec « Jim Stalwart », et un autre capitaine de l’espace plus connu, « Don Conquest » , la science-fiction. Encore un an ou deux et l’aventure spatiale les saisiraient à bras le corps, via le Spoutnik russe du 4 octobre 1957, le « Tony Sextant » d’Acquaviva et Ribéra dans Bayard au même moment, et les aventures de Pilote Tempête du néerlandais Sprengers dans le Spoutnik d’Artima à partir de l’été 1958…

Junior Mirror « Space Captain Jim Stalwart » commença à paraître le 1er septembre 1954 avec le premier numéro du Junior Mirror, supplément jeunesse du tabloïd Daily Mirror. Dans un contexte socio-économique difficile, le périodique dut suspendre sa publication à plusieurs reprises en raison de grèves au printemps 1955, et s’arrêta après 75 numéros au printemps suivant devant la menace d’une nouvelle flambée sociale ; le dernier numéro sortit le 29 février 1956. Le nouveau mouvement de grève avait aussi affecté d’autres comics britanniques à l’époque, Knockout, Lion et Tiger. Bruce Cornwell, aux commandes du strip, raconte qu’il avait reçu une courte lettre de l’éditeur lui annonçant qu’une grève dans le secteur de l’imprimerie venait de condamner à mort la publication. « Je ne peux pas dire que cela me fit de la peine, ajoute-t-il. J’avais beaucoup d’autres travaux en cours et je peux rajouter que le cartooning est quelque chose de relativement limité pour un illustrateur expérimenté comme moi. » Né au Canada en 1920, Arthur Bruce Cornwell avait rejoint le studio de Frank Hampson pour travailler sur « Dan Dare » dans Eagle, une revue grâce à laquelle il acquit une solide réputation dans sa manière de représenter toutes sortes d’artefacts, architectures, machines et vaisseaux spatiaux. Après divers aléas, et l’épisodique « Jim Stalwart » de Junior Mirror, il réalisa des couvertures et illustrations d’ouvrages pour la jeunesse avant de s’éloigner de la BD au profit de l’illustration publicitaire. Il est décédé le 2 mars 2012 .

The Argus, 15 october 1954-0
Trois épisodes de « Jim Stalwart » parurent dans le Junior Mirror, le troisième demeurant inachevé.
Le premier était intitulé « The Fantastic Adventures Of The Missing S. 200 ». Il parut tout au long de 25 numéros du Junior Mirror, du 1er septembre 1954 au 23 février 1955, les planches étant numérotées de A1 à B26, les lettres A, puis B et C renvoyant à l’année en cours. Dans un futur obéissant aux conventions de l’époque où Londres est un peu le centre du monde et du système solaire, nous suivons les aventures du Capitaine de l’espace Jim Stalwart, de son jeune frère le cadet Tony, et de leur compagnon le sergent Archie Harbottle. Ce premier épisode a pour point de départ un problème technique, la solidification inexpliquée du carburant dans les réservoirs d’un avion-cargo qui revient de la Lune et s’approche de la station orbitale S.200, puis la mystérieuse disparition de cette station elle-même. Jim, Tony et Archie se trouveront bien vite aux prises avec un officier félon et mégalomane, le major Borman, secrètement allié aux Satiks, les habitants de Saturne. Cette première incursion des aliens dans la série est assez étonnante : leur forme floue, vaguement humanoïdes, enveloppée de scaphandres très larges qui masquent leur apparence, tranche avec le réalisme du dessin de Cornwell ; ils sont équipés de pinces et de pieds mécaniques, d’une visière et d’une paire d’antennes. aliens de Tuka
Le second épisode commence à paraître le 2 mars 1955 (B27) ; il était annoncé dans le numéro précédent sous le titre « The Mystery Of The Green Star » mais le bandeau-titre du B27 stipulera simplement « The Green Star ». 34 parutions s’échelonneront jusqu’au 16 novembre 1955 (B60). Jim, Archie et Tony, ce dernier ayant été promu chef cadet à la fin de l’épisode précédent, se retrouvent sur la Lune où d’étranges nefs extra-terrestres viennent de se poser. Leurs occupants ne sont pas hostiles, contrairement aux Satiks de Saturne. Humanoïdes au physique emprunté à l’iconographie de l’ancienne Égypte , ils viennent avertir les terriens du danger que court la Lune menacée par l’Étoile verte, un astre errant qui a déjà détruit leur planète natale, Tuka. Au cours d’une mission à haut risque, Jim et Archie convoieront un vaisseau chargé d’explosifs jusqu’à l’Étoile qu’ils feront exploser au péril de leur vie. En récompense de leur aide, les Tukanas seront autorisés à s’installer sur la Lune.
Un ultime épisode commence à paraître le 23 novembre (B61) ; il ira jusqu’au numéro du 29 février 1956 (C75) et restera inachevé. Annoncé à la fin de B60 sous le titre « Pirates of The Spaceways » (titre qui ne sera pas repris dans les parutions hebdomadaires), l’épisode raconte les retrouvailles de Jim, Tony et Archie avec leurs vieux ennemis, le major Borman, qui s’est autoproclamé amiral, et les Satiks, et mène nos héros jusqu’à la ceinture d’astéroïdes. L’arrêt de l’histoire laisse le jeune Tony prisonnier de Borman en fâcheuse posture. Mais un petit texte figurant en-dessous du dernier strip explique comment se termine l’aventure, avec la libération de Tony et l’arrestation de Borman. Deux vignettes de ce qui aurait dû être la dernière planche demeurée inédite de la série sont publiées en même temps.
Junior Mirror 29 february 1956

Quelques semaines à peine après le début de sa publication au Royaume-Uni, le strip est repris au Portugal et en Australie, puis l’année suivante en France ; en 1957 enfin on le retrouvera en Espagne. Un succès étonnant pour une aussi brève série, un succès éphémère également, si l’on en juge par l’oubli dans lequel ensuite elle finit par tomber.
C’est donc Titã, un hebdomadaire de bandes dessinées portugais, qui reprend d’abord l’histoire ; seul, le premier épisode est publié, sous le titre « O Satélite S 200 », du 12 octobre 1954 au 10 août 1955. Dirigé par José da Costa Pessoa, Titã connut 42 numéros, du 12/10/1954 au 10/8/1955, et publia aussi « Dan Dare » et des histoires dessinées par Jesus Blasco ou Hal Foster.
Dans la foulée, The Argus, à Melbourne, reprend également le premier épisode, du 15 octobre 1954 au 25 février 1955 sous son titre original, « The Fantastic Adventure Of The Missing S 200 ». Au vu des exemplaires digitalisés par la National Library of Australia, et disponibles en ligne, la publication fut incomplète et s’arrêta à la planche B19.
Jim Stalwart planche 1 PIERROT 5 décembre 1956

La parution de « Jim Stalwart » dans Pierrot débuta en décembre 1956 avec le n° 5 de la dernière série du périodique, devenu mensuel, et qui allait disparaître à la fin de l’année suivante. Mais contrairement à ce qu’affirme Jeremy Briggs dans Eagle Times seul le deuxième épisode fut traduit dans Pierrot, et sans aucune référence au titre original. Intitulée « Jim Stalwart Capitaine de l’espace », l’histoire parut en bichromie et en trichromie, puis en noir et blanc dans les n° 5 à 10 du journal, jusqu’au numéro du mois de mai 1957. Au total 34 planches, remontées, avec quelques vignettes redessinées, et la présence en une des numéros 6, 9 et 10 (vignettes ou dessin en pleine page) plus la couverture de l’album relié n° 15. La dernière planche publiée est bien numérotée B60, et correspond à celle publiée dans le Junior Mirror le 16 novembre 1955. Le soin apporté à la publication, et sa mise en avant en couverture du journal ou de la reliure, manifeste bien son caractère de série phare. Malheureusement, ce sera un chant du cygne.
Couverture Pierrot 6 en 1957 Couverture Pierrot 10 en 1957 Couverture reliure 15 de Pierrot

Depuis quelques mois déjà le strip paraissait en espagnol dans Futuro, « revue des routes de l’espace», publiée à Barcelone par les Éditions Cliper . Futuro n’eut que vingt numéros mensuel, parus en 1957-1958. Le premier épisode de « Jim Stalwart » fut repris dans les numéros 1 et 2 sous le titre « La Desaparición del Satelite S 200 », en noir et blanc et avec des vignettes remontées ou redessinées pour des raisons de mise en page ; et le deuxième, intitulé « El misterio de la Estrella verde » dans les numéros 6 à 10, avec des modifications identiques (sans le dernier strip, augurant d’une nouvelle mission, et annonçant dans la version originale, le dernier épisode). Comme dans Pierrot, des couvertures redessinées mettent en avant le strip, dans les numéros 1, 6 et 10. Parallèlement, la revue publiait le « Don Conquest » de Harry Winslade.
Futuro 1 Futuro 6

La publication des séries anglaises « Don Conquest » et « Jim Stalwart » boosta la revue espagnole, qui déclina par la suite et disparut. Hôte de revues anglo-saxonnes ou européennes éphémères ou en fin de course, et d’une audience limitée, le strip de Bruce Cornwell en pâtît au point qu’on l’oubliât à moins qu’on ne le considère seulement comme un épigone du « Dan Dare » qui demeure le chef-d’œuvre de la BD anglaise de SF. Absente des encyclopédies, la référence réapparut sur quelques forums dans les années 2010, puis dans l’étude importante que lui consacra Jeremy Briggs dans Eagle Times. Une réédition de ces 75 planches à la très belle qualité graphique restituerait au strip oublié de Bruce Cornwell la place qu’il mérite dans l’histoire de la science-fiction et son domaine britannique.

François Rahier
2 août 2019
(revu le 4 février 2024)

Bibliographies :

1
SPACE CAPTAIN JIM STALWART

(Bruce Cornwell)

1) The Fantastic Adventures Of The Missing S.200 :

a. “The Fantastic Adventure Of The Missing ZS 200” in Junior Mirror (Londres): 26 episodes [1 September 1954 (A1) to 23 Feb 1955 (B26)]
b. “O Satélite S 200” in Titã [Portugal], 12 octobre 1954 – 10 août 1955;
c. “The Fantastic Adventure Of The Missing S 200” in The Argus (Melbourne/Australie): 15 october 1954 – 25 february 1955;
d. “La Desaparición del Satelite S 200” in Futuro [Espagne]: 1-2, 1957

2) The Green Star

a. “The Green Star” in Junior Mirror : 34 episodes [2 March 1955 (B27) to 16 November 1955 (B60)]
b. “Jim Stalwart” in Pierrot, n° 5-10, Décembre 1956 – Mai 1957;
c. “El Misterio de la Estrella verde” in Futuro [Espagne]: 6-10, 1957

3) Pirates Of The Spaceways!

a. “Jim Stalwart” in Junior Mirror (cf. supra) : inachevé

2
“Jim Stalwart” in Pierrot, n° 5-10, Décembre 1956 – Mai 1957 :

N° 5 – Décembre 1957 : 5 planches en bichromie puis en trichromie ;
N° 6 – Janvier 1958 : 5 planches en bichromie puis en trichromie (et une vignette couleur redessinée en couverture) ;
N° 7 – Février 1958 : 4 planches noir & blanc intitulées « Une nuit mouvementée » ;
N° 8 – Mars 1958 : 4 planches noir & blanc intitulées « Les mystérieux occupants de l’astro-cargo » ;
N° 9 – Avril 1958 : 8 planches noir & blanc intitulées « Alliés des Tukanas » (et une vignette couleur redessinée en cv) ;
N° 10 – Mai 1958 : 8 planches noir & blanc intitulées « La Fin de l’Étoile verte » (et une illustration pleine page en cv inspirée du strip) ;
La couverture de l’album relié n° 15 est aussi inspirée du strip et met en avant « Jim Stalwart, l’homme qui explore la Lune ».

Jim Stalwart : Liens vers d'autres sites et bibliographie sur BDoubliees.com

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