Souvent oublié des rétrospectives, « Space Captain Jim Stalwart » de Bruce
Cornwell – qui n’eut qu’une brève existence dans le
Junior Mirror britannique
entre septembre 1954 et février 1956, et même pas trois épisodes complets ! –
reste pourtant dans la mémoire des petits Français qui lisaient
Pierrot
en 1955-1957. Trop jeunes pour avoir suivi dans
Cœurs Vaillants,
Coq Hardi,
Spirou ou
Tintin les équipées lunaires ou
martiennes d’Oscar Hamel (F.-A. Breysse)
2
« Les Conquérants de l’infini » in Cœurs Vaillants, du 20 avril au 23 novembre 1947. Sur cette publication, voir également « Les étranges aventures d’Oscar Hamel » dans « Les chroniques de François Rahier » sur bdoubliees.com.
, de Jim Boum (Marijac)
3
« L’Étrange croisière du Squalus » in Coq Hardi, du 2 février au 1er juin 1950 (la série est terminée par Mathelot).
, de L’Épervier bleu (Sirius)
4
« La planète silencieuse » in Spirou, du 9 août 1951 au 8 janvier 1953.
ou de Tintin
5
« On a marché sur la Lune » in Tintin, édition belge, du 23 mars 1950 au 23 décembre 1953 ; les deux épisodes sont parus sous ce titre.
, peu familiers encore du PF Météor d’Artima où commença à paraître en 1953
la saga des « Conquérants de l’univers » de R. Giordan
6
Avec 2985 planches en 11 ans, la plus longue des séries françaises de SF, qui bat « Les Pionniers de l’espérance », 1971 planches (sur 28 ans).
, ils découvraient avec « Jim Stalwart », et un autre capitaine de l’espace plus
connu, « Don Conquest »
7
Cf. « Les ‘Capitaines de l’espace’ dans la bande dessinée de science-fiction britannique des années 50 », par Francis Valéry in CyberDreams 13. La collection « Spatial » a repris en trois volumes bien documentés les épisodes parus en français de cette série de Harry Winslade et Kelman D. Frost.
, la science-fiction. Encore un an ou deux et l’aventure spatiale les saisiraient
à bras le corps, via le Spoutnik russe du 4 octobre 1957, le « Tony Sextant »
d’Acquaviva et Ribéra dans
Bayard
8
« Tony Sextant, chevalier de l’espace » commença à paraître dans Bayard le 14 juillet 1957 ; dans son édition du 6 octobre mise en vente le 4, le « jour de Spoutnik », le journal consacrait sa une à la mise en orbite du satellite artificiel Séléné-1.
au même moment, et les aventures de Pilote Tempête du néerlandais Sprengers
dans le Spoutnik d’Artima à partir de l’été 1958…
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« Space Captain Jim Stalwart » commença à paraître le 1er septembre 1954 avec le
premier numéro du
Junior Mirror, supplément jeunesse du tabloïd
Daily
Mirror. Dans un contexte socio-économique difficile, le périodique dut
suspendre sa publication à plusieurs reprises en raison de grèves au printemps
1955, et s’arrêta après 75 numéros au printemps suivant devant la menace d’une
nouvelle flambée sociale ; le dernier numéro sortit le 29 février 1956. Le nouveau
mouvement de grève avait aussi affecté d’autres comics britanniques à l’époque,
Knockout,
Lion et
Tiger. Bruce Cornwell, aux commandes
du strip, raconte qu’il avait reçu une courte lettre de l’éditeur lui annonçant
qu’une grève dans le secteur de l’imprimerie venait de condamner à mort la
publication. « Je ne peux pas dire que cela me fit de la peine, ajoute-t-il.
J’avais beaucoup d’autres travaux en cours et je peux rajouter que le cartooning
est quelque chose de relativement limité pour un illustrateur expérimenté
comme moi.
9
« Space Captain Jim Stalwart stripography » by Jeremy Briggs in Eagle Times v23 # 2, Summer 2010; repris dans bearalley.blogspot.com.
» Né au Canada en 1920, Arthur Bruce Cornwell avait rejoint le studio de Frank
Hampson pour travailler sur « Dan Dare » dans
Eagle, une revue grâce à
laquelle il acquit une solide réputation dans sa manière de représenter toutes
sortes d’artefacts, architectures, machines et vaisseaux spatiaux. Après divers
aléas, et l’épisodique « Jim Stalwart » de
Junior Mirror, il réalisa des
couvertures et illustrations d’ouvrages pour la jeunesse avant de s’éloigner de
la BD au profit de l’illustration publicitaire. Il est décédé le 2 mars 2012
10
Cf. sa nécrologie dans Hop ! n° 136 de décembre 2012.
.
Trois épisodes de « Jim Stalwart » parurent dans le
Junior Mirror,
le troisième demeurant inachevé.
Le premier était intitulé « The Fantastic Adventures Of The Missing S. 200 ».
Il parut tout au long de 25 numéros du
Junior Mirror, du 1er septembre 1954
au 23 février 1955, les planches étant numérotées de A1 à B26, les lettres A,
puis B et C renvoyant à l’année en cours. Dans un futur obéissant aux conventions
de l’époque où Londres est un peu le centre du monde et du système solaire, nous
suivons les aventures du Capitaine de l’espace Jim Stalwart, de son jeune frère
le cadet Tony, et de leur compagnon le sergent Archie Harbottle. Ce premier épisode
a pour point de départ un problème technique, la solidification inexpliquée du
carburant dans les réservoirs d’un avion-cargo qui revient de la Lune et s’approche
de la station orbitale S.200, puis la mystérieuse disparition de cette station
elle-même. Jim, Tony et Archie se trouveront bien vite aux prises avec un officier
félon et mégalomane, le major Borman, secrètement allié aux Satiks, les habitants
de Saturne. Cette première incursion des aliens dans la série est assez étonnante :
leur forme floue, vaguement humanoïdes, enveloppée de scaphandres très larges qui
masquent leur apparence, tranche avec le réalisme du dessin de Cornwell ; ils sont
équipés de pinces et de pieds mécaniques, d’une visière et d’une paire d’antennes.
Le second épisode commence à paraître le 2 mars 1955 (B27) ; il était annoncé
dans le numéro précédent sous le titre « The Mystery Of The Green Star » mais
le bandeau-titre du B27 stipulera simplement « The Green Star ». 34 parutions
s’échelonneront jusqu’au 16 novembre 1955 (B60). Jim, Archie et Tony, ce dernier
ayant été promu chef cadet à la fin de l’épisode précédent, se retrouvent sur la
Lune où d’étranges nefs extra-terrestres viennent de se poser. Leurs occupants
ne sont pas hostiles, contrairement aux Satiks de Saturne. Humanoïdes au physique
emprunté à l’iconographie de l’ancienne Égypte
11
Cet intérêt de la SF pour l’Égypte ancienne est curieux : on le retrouve chez Liquois, dans « À travers les mondes inconnus » paru dans Pierrot (1938), et les dernières planches dessinées par Poïvet de « Vers les mondes inconnues » parues dans Le Téméraire en 1944, mais aussi l’étrange reprise de « Tailspin Tommy » de Hal Forrest par Jacques Souriau puis un autre dessinateur français (non identifié) sous le titre de « Jean Bolide » dans Robinson (1938-1940) ; après-guerre, cela réapparaît chez Sirius dans Le Pharaon des cavernes, une aventure de l’Épervier bleu (Spirou, 1945-1946), ou dans Atome Kid n° 22, « Le Soleil s’éteint » (Artima, 1958).
, ils viennent avertir les terriens du danger que court la Lune menacée par
l’Étoile verte, un astre errant qui a déjà détruit leur planète natale, Tuka.
Au cours d’une mission à haut risque, Jim et Archie convoieront un vaisseau chargé
d’explosifs jusqu’à l’Étoile qu’ils feront exploser au péril de leur vie.
En récompense de leur aide, les Tukanas seront autorisés à s’installer sur la
Lune.
Un ultime épisode commence à paraître le 23 novembre (B61) ; il ira jusqu’au
numéro du 29 février 1956 (C75) et restera inachevé. Annoncé à la fin de B60 sous
le titre « Pirates of The Spaceways » (titre qui ne sera pas repris dans les
parutions hebdomadaires), l’épisode raconte les retrouvailles de Jim, Tony et
Archie avec leurs vieux ennemis, le major Borman, qui s’est autoproclamé amiral,
et les Satiks, et mène nos héros jusqu’à la ceinture d’astéroïdes. L’arrêt de
l’histoire laisse le jeune Tony prisonnier de Borman en fâcheuse posture. Mais un
petit texte figurant en-dessous du dernier strip explique comment se termine
l’aventure, avec la libération de Tony et l’arrestation de Borman. Deux vignettes
de ce qui aurait dû être la dernière planche demeurée inédite de la série sont
publiées en même temps.
Quelques semaines à peine après le début de sa publication au Royaume-Uni, le
strip est repris au Portugal et en Australie, puis l’année suivante en France ;
en 1957 enfin on le retrouvera en Espagne. Un succès étonnant pour une aussi brève
série, un succès éphémère également, si l’on en juge par l’oubli dans lequel
ensuite elle finit par tomber.
C’est donc
Titã, un hebdomadaire de bandes dessinées portugais, qui
reprend d’abord l’histoire ; seul, le premier épisode est publié, sous le titre
« O Satélite S 200 », du 12 octobre 1954 au 10 août 1955. Dirigé par José da Costa
Pessoa,
Titã connut 42 numéros, du 12/10/1954 au 10/8/1955, et publia
aussi « Dan Dare » et des histoires dessinées par Jesus Blasco ou Hal Foster.
Dans la foulée,
The Argus, à Melbourne, reprend également le premier
épisode, du 15 octobre 1954 au 25 février 1955 sous son titre original, « The
Fantastic Adventure Of The Missing S 200 ». Au vu des exemplaires digitalisés
par la National Library of Australia, et disponibles en ligne, la publication fut
incomplète et s’arrêta à la planche B19.
La parution de « Jim Stalwart » dans
Pierrot débuta en décembre 1956
avec le n° 5 de la dernière série du périodique, devenu mensuel, et qui allait
disparaître à la fin de l’année suivante. Mais contrairement à ce qu’affirme
Jeremy Briggs dans
Eagle Times
12
Cf. note 7 supra ; l’étude de Jeremy Briggs, reprise dans bearalley.blogspot.com, reste au demeurant la plus complète sur ce sujet.
seul le deuxième épisode fut traduit dans
Pierrot, et sans aucune référence
au titre original. Intitulée « Jim Stalwart Capitaine de l’espace », l’histoire
parut en bichromie et en trichromie, puis en noir et blanc dans les n° 5 à 10 du
journal, jusqu’au numéro du mois de mai 1957. Au total 34 planches, remontées,
avec quelques vignettes redessinées, et la présence en une des numéros 6, 9 et
10 (vignettes ou dessin en pleine page) plus la couverture de l’album relié n° 15.
La dernière planche publiée est bien numérotée B60, et correspond à celle publiée
dans le
Junior Mirror le 16 novembre 1955. Le soin apporté à la publication,
et sa mise en avant en couverture du journal ou de la reliure, manifeste bien
son caractère de série phare. Malheureusement, ce sera un chant du cygne.
Depuis quelques mois déjà le strip paraissait en espagnol dans
Futuro,
« revue des routes de l’espace», publiée à Barcelone par les Éditions Cliper
13
Récemment, EDT/Editores de Tebeos (Barcelone) a rendu hommage à cette revue pionnière de la SF en Espagne dans les années 1950 dans un beau volume relié et illustré de 143 pages, intitulé Recordando Futuro, una selección de Leonor Fernández y Luis Vigil. Deux planches de « Jim Stalwart » sont reprises dans le volume.
.
Futuro n’eut que vingt numéros mensuel, parus en 1957-1958. Le premier
épisode de « Jim Stalwart » fut repris dans les numéros 1 et 2 sous le titre
« La Desaparición del Satelite S 200 », en noir et blanc et avec des vignettes
remontées ou redessinées pour des raisons de mise en page ; et le deuxième,
intitulé « El misterio de la Estrella verde » dans les numéros 6 à 10, avec des
modifications identiques (sans le dernier strip, augurant d’une nouvelle mission,
et annonçant dans la version originale, le dernier épisode). Comme dans
Pierrot,
des couvertures redessinées mettent en avant le strip, dans les numéros 1, 6 et 10.
Parallèlement, la revue publiait le « Don Conquest » de Harry Winslade.
La publication des séries anglaises « Don Conquest » et « Jim Stalwart » boosta
la revue espagnole, qui déclina par la suite et disparut. Hôte de revues
anglo-saxonnes ou européennes éphémères ou en fin de course, et d’une audience
limitée, le strip de Bruce Cornwell en pâtît au point qu’on l’oubliât à moins qu’on
ne le considère seulement comme un épigone du « Dan Dare » qui demeure le
chef-d’œuvre de la BD anglaise de SF. Absente des encyclopédies, la référence
réapparut sur quelques forums dans les années 2010, puis dans l’étude importante
que lui consacra Jeremy Briggs dans
Eagle Times. Une réédition de ces 75
planches à la très belle qualité graphique restituerait au strip oublié de Bruce
Cornwell la place qu’il mérite dans l’histoire de la science-fiction et son
domaine britannique.
François Rahier
2 août 2019
(revu le 4 février 2024)
Bibliographies :
1
SPACE CAPTAIN JIM STALWART
(Bruce Cornwell)
1) The Fantastic Adventures Of The Missing S.200 :
a. “The Fantastic Adventure Of The Missing ZS 200” in Junior Mirror (Londres):
26 episodes [1 September 1954 (A1) to 23 Feb 1955 (B26)]
b. “O Satélite S 200” in Titã [Portugal], 12 octobre 1954 – 10 août 1955;
c. “The Fantastic Adventure Of The Missing S 200” in The Argus
(Melbourne/Australie): 15 october 1954 – 25 february 1955;
d. “La Desaparición del Satelite S 200” in Futuro [Espagne]: 1-2, 1957
2) The Green Star
a. “The Green Star” in Junior Mirror : 34 episodes [2 March 1955 (B27)
to 16 November 1955 (B60)]
b. “Jim Stalwart” in Pierrot, n° 5-10, Décembre 1956 – Mai 1957;
c. “El Misterio de la Estrella verde” in Futuro [Espagne]: 6-10, 1957
3) Pirates Of The Spaceways!
a. “Jim Stalwart” in Junior Mirror (cf. supra) : inachevé
2
“Jim Stalwart” in Pierrot, n° 5-10, Décembre 1956 – Mai 1957 :
N° 5 – Décembre 1957 : 5 planches en bichromie puis en trichromie ;
N° 6 – Janvier 1958 : 5 planches en bichromie puis en trichromie (et
une vignette couleur redessinée en couverture) ;
N° 7 – Février 1958 : 4 planches noir & blanc intitulées « Une nuit
mouvementée » ;
N° 8 – Mars 1958 : 4 planches noir & blanc intitulées « Les mystérieux
occupants de l’astro-cargo » ;
N° 9 – Avril 1958 : 8 planches noir & blanc intitulées « Alliés des Tukanas »
(et une vignette couleur redessinée en cv) ;
N° 10 – Mai 1958 : 8 planches noir & blanc intitulées « La Fin de l’Étoile
verte » (et une illustration pleine page en cv inspirée du strip) ;
La couverture de l’album relié n° 15 est aussi inspirée du strip et met en avant « Jim Stalwart, l’homme qui explore la Lune ».
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