Les chroniques de DannY De LaeT

Le coeur et le crayon : la BD adulte en France

chapitre 0 : Liminaire et chronologie

Ce document (et les chapitres suivants) est une réédition d'un ouvrage paru en 2013 : Les cahiers BD 3, le coeur et le crayon, Dossier : la BD adulte en France. Editions Kosmomolis/VPOP.

L’avant-Barbarella : Initiation à la BD pour adultes

Vérifiez les premières études sur la BD en France et vous constaterez que ses auteurs, censeurs et éducateurs, s’en prennent surtout, sinon principalement, ‘aux petits mickeys’ pour les jeunes lecteurs. Etonnant, car à la même époque, je parle de l’après-guerre, disons de 1945 jusqu’aux années soixantes, il existe - outre le circuit habituels des illustrés pour la jeunesse, genre Tintin, Spirou, Journal de Mickey, Hurrah, L’Intrépide et Grand-Coeur, sans parler des innombrables fascicules édités par Artima, les Editions du Rempart et autres - un circuit parallèle, celui de la presse quotidienne et celui de la presse familiale, comprenant de nombreux hebdomadaires et quelques mensuels, allant de Femmes d’Aujourd’hui à Nous Deux.

Il est certain que dans cette presse familiale – quelle soit quotidienne ou hebdomadaire - la bande dessinée foisonnait de façon étonnante; allant des récits historiques aux séries les plus diverses, comprenant des récits de SF, d’aventures, policières, voire sentimentales, selon un mode souvent plus adulte.

Chaque journal contenait bien sa page ou demi-page de BD diverses, destinées à captiver l’attention des divers lecteurs, soit adultes, soit adolescents, bien plus que les BD déversées dans les publications pour la jeunesse.

Quant aux hebdomadaires ils contenaient tous des BD à majorité sentimentales. J’engloutissais dans mes jeunes années ma portion quotidienne de Rip Kirby en lisant le quotidien Le Matin (Anvers) – je me souviens que l’annonce de la mort de son auteur, Alex Raymond, provoqua un semblant de tristesse et de panique: comment ? Plus de Rip Kirby dans le journal ?? – et que ce Rip Kirby était parfois dur, parfois violent et parfois légèrement sexy. Mais je suivais également (dans le même journal) Juliette de mon coeur (Juliet Jones) et j’étais amoureux de sa blonde ‘teenager’ de soeur. Par la suite je lisais, toujours dans Le Matin, surtout Johnny Hazard (parfois assez sexy) et dans un autre journal les bandes verticales, à caractère historique et parfois déluré, ou encore les bandes quotidiennes et humoristiques de Mickey, sans oublier dans une même veine Ferdinand et Oscar.

Il y avait là un aspect adulte que je ne trouvais pas dans la bande dessinée flamande qui paraissait dans d’autres quotidiens et qui arborait dans son fanion les valeurs familiales (encore que…), sous prétexte d’aventures et d’humour (Vandersteen, Sleen, Buth, Nys, De Moor), souvent dotée aussi d’un esprit caustique et satirique, voire politique, qui à l’époque m’échappait complètement.

En vérité l’envahissement progressif des BD dans la presse quotidienne coïncidait à la lente régression des feuilletons écrits. Et il est certain aussi que ces “BD pour tout public” contenaient parfois une légère pointe d’érotisme, peu prononcée certes, mais acceptable dans la mesure où ces BD s’adressaient quand même principalement à des lecteurs plus matures. Cette position était encore plus perceptible dans les hebdomadaires que lisaient les adultes et où pouvait se déchaîner, selon un mode plus pervers, une attitude ostentoire destinée à plaire, sinon séduire, un lectorat avide de retrouver dans ce mode de lecture des éléments types propres au roman d’amour: sentimentalité à l’eau de rose, amours impossibles, différence de classes sociales…, car la majorité de ces hebdomadaires s’adressaient au lectorat féminin et jouaient la carte du sentiment, perpétuant à bon marché ce que ces grandes dames du roman d’amour avaient étalées depuis Ann Radcliffe.

Les élements types étaient du genre personnages archétypés (la belle à séduire, le beau jeune homme amoureux, le perfide séducteur, du bien-aimé au mal-aimé, sentimentalisme outrancier, imbroglio de situation, aventure passionnelle, erreurs de jeunesse, j’en passe et des meilleurs).

On peut référer à cet egard aux romans des “reines” du roman d’amour, Marlitt, Courths- Mahler (moins connue du public français), Barbara Cartland, jusqu’aux romans de la série Harlequin, voire les “chicklits” actuels et il existe là-dessus de doctes études, mais grosso mode le terrain d’approche est archi-connu et archi-pénétré, dont le schéma ci-joint peut donner une grossière image du processus:

Processus
Puis ce fut en 1964 la parution en album de la BD Barbarella, due au génie farceur de Jean- Claude Forest, une BD de SF mais surtout une BD nettement destinée à un public adulte. Non, quoi qu’on dise, quoi qu’on pense, Barbarella n’est pas une BD pornographique, tout juste une histoire un peu friponne, coquine même, avec beaucoup de trouvailles de la part de son auteur à l’imagination féconde, une histoire pleine de charme et de fantaisie. Et bien que son éditeur, Eric Losfeld, du Terrain Vague, ait essuyé les plâtres (avec comme résultat une interdiction à la vente !), il en a découlé un véritable désir parmi les auteurs de BD de s’exprimer librement, dans un esprit dorénavant érotico-pornographique, comme en témoignent par la suite les oeuvres de Pichard, de Cuvelier, de Manara, de Crepax et bien d’autres.

La libération sexuelle des années ’60 nous conduisit jusqu’a la pornographie pour toutes les bourses, aussi bien que tous les excès possibles, dans les fumetti per adulti et se reflètait également dans les romans-photos (Ah, Satanik!)…

Il n’en demeure pas moins que cet important apport à l’évolution de la bande dessinée demeure mal étudié, disons partiellement étudié. L’histoire de la BD adulte en France reste à établir à tous les niveaux, mais il faut quand même dans un premier temps renvoyer le lecteur aux études exemplaires d’Alain Beyrand et ses diverses publications; ainsi son extraordinaire catalogue encyclopédique des bandes horizontales françaises dans la presse adulte de 1946 à 1975, recense plusieurs centaines de BD diverses parues dans les journaux .

Quant à la presse du coeur il reste encore beaucoup à faire, qui ne bénéficie jusqu’à présent que d’études partielles et incomplètes. Ainsi dans son livre “Petite Histoire de l’érotisme dans la BD” Henri Fillipini consacre un chapitre à l’Avant-Barbarella en France où il brise une lance en faveur des nombreux dessinateurs, qui publiaient des BD souvent érotiques dans diverses publications, en citant abondamment (mais pas toujours à bon escient ni en connaissance de cause) Les Grands Romans Noirs Dessinées, Frissons, Duo , Nous Deux, La Vie en Fleurs, etc. Au moins il n’a pas été sans remarquer ce pan important dans l’évolution et l’histoire de la BD en France, ce qui n’a pas toujours été le cas .

Pour preuve le très curieux “Erotisme et Pornographie dans la Bande Dessiné” (1978) d’un certain Michel Bourgeois, qui prétend, le petit doigt sur la couture du pantalon: “Les années 50 en France nous propose une bande dessinée bien pâle en matière d’érotisme. (…) En étudiant (!) cette époque de plus près on constate que, en France comme aux Etats-Unis (…) il n’y a pas d’érotisme ou de pornographie.” (p. 26).

Oh que si, il y avait de l’érotisme dans la BD Française de l’époque; Oh que si! Cela dit, elle planait et virevoltait dans de nombreuses publications, soit prononcée dans de petites publications franchement destinées à un public adulte, soit aguichante mais tempérée dans le secteur bien délimité que l’on appelait la “presse du coeur”, deux secteurs au lectorats différents, co-habitant avec le secteur plus général, plus populaire encore de la presse enfantine…

Admettons qu’il nous est impossible d’établir ici un historique complet, ne possèdant que des fragments de bibliographie ; essayons, quand même de déblayer un tant soit peu le terrain, en espérant que cette petite etude, fort succincte, puisse susciter des émules, qui un jour ou l’autre pourrons complèter ce qui n’est qu’un survol hâtif, regroupant ici les principales publications du genre.

A noter encore que l’évolution de la BD dans la presse hebdomadaire pour adultes coïncide en grande partie avec la naissance et l’historique du roman-photo.

Justement dans ce domaine il existe maintenant quelques solides études, ainsi l’excellent petit volume “Le roman-photo”, par Serge Saint-Michel, hélas bien mal illustré et surtout les oeuvres diverses de l’immense collectionneur Bruno Takodjerab (Les années roman-photo et La saga du roman-photo), où il est quand même aussi fait mention des BD qui petit à petit laissèrent la place au seul roman mis en images photographiques , hélas .

Car dans les années ‘60 les hebdomadaires familiaux et pour adultes renoncent à la BD au profit du roman-photo. Ce dernier envahit tout, il figure même dans les illustrés pour la jeunesse, puisque l’éditeur Cino Del Duca n’hésite pas à l’incorporer dans L’Intrepide et Hurrah, il est vrai qu’il s‘agit ici d’un baroud d’honneur, car ces deux publications battent de l’aile et ne peuvent plus concurrencer avec Spirou, Tintin, Le Journal de Mickey, voire le encore jeune Pilote.

Dans les années ’60 on essaie vainement de combiner les deux, ainsi Télé-Jeunes (Editions Mondiales encore!) nous donne dans son premier numéro (en 1962) des dessinateurs français et américains (Pierre Dupuis et Jack Kirby), mais davantage encore des reportages avec photos et des romans-photos…

Première BD à paraître dans NOUS DEUX (1947). Dessin de W. Molino
Et Frimousse, devenu mensuel dans les années ’60 (chez Del Duca encore!) et toujours dirigé par Jacques Dumas (Marijac !), présente elle aussi BD et romans-photos.

Dans nombre de ces publications pour la jeunesse, aussi bien que dans la presse familiale, soit encore la presse du coeur, la BD est reléguée au second plan, voire tout à fait étranglée par le mode d’expression envahissant du roman-photo.

Nous limitant à l’expression de la BD, essayons maintenant de délimiter le terrain et à défaut d’être complet, de souligner les publications les plus intéressantes dans le domaine de la BD adulte et érotique… C’est parti mon Kiki !

Chronologie

1945V (puis Voir, V-Magazine, etc. //1945-1969)
1947NOUS DEUX + NOUS DEUX PRESENTE etc.
INTIMITE
1948A TOUT COEUR
CONFIDENCES
RIEN QUE TOI (?)
1949FESTIVAL
RADAR
1950CHERIE
REVES
BOLERO
PARIS-ROMANS EN IMAGES
1952LECTURES D’AJOURD’HUI
1953FRISSONS
CHERIR (+ 1955 ? Suivi par Idylle)
LES GRANDS ROMANS NOIRS DESSINES
ROMANS EN IMAGES
LA VIE EN FLEUR
KALLUM MAGAZINE/ L’ AN 2000
1956IDYLLE
1957DUO
OUI
1958SUSPECT (+1959 ?)
1959LUI
Non datéeCOLLECTION JEUNE FILLE

Prochain chapitre : V magazine et Jean-David

Première publication de ce texte : "Detective Story - Cahier BD III", éditions Kosmopolis/VPOB, 2013.

Retour Chroniques de DannY De LaeT