chapitre 0 : Liminaire et chronologie
Il est certain que dans cette presse familiale – quelle soit quotidienne ou hebdomadaire - la bande dessinée foisonnait de façon étonnante; allant des récits historiques aux séries les plus diverses, comprenant des récits de SF, d’aventures, policières, voire sentimentales, selon un mode souvent plus adulte.
Chaque journal contenait bien sa page ou demi-page de BD diverses, destinées à captiver l’attention des divers lecteurs, soit adultes, soit adolescents, bien plus que les BD déversées dans les publications pour la jeunesse.
Quant aux hebdomadaires ils contenaient tous des BD à majorité sentimentales. J’engloutissais dans mes jeunes années ma portion quotidienne de Rip Kirby en lisant le quotidien Le Matin (Anvers) – je me souviens que l’annonce de la mort de son auteur, Alex Raymond, provoqua un semblant de tristesse et de panique: comment ? Plus de Rip Kirby dans le journal ?? – et que ce Rip Kirby était parfois dur, parfois violent et parfois légèrement sexy. Mais je suivais également (dans le même journal) Juliette de mon coeur (Juliet Jones) et j’étais amoureux de sa blonde ‘teenager’ de soeur. Par la suite je lisais, toujours dans Le Matin, surtout Johnny Hazard (parfois assez sexy) et dans un autre journal les bandes verticales, à caractère historique et parfois déluré, ou encore les bandes quotidiennes et humoristiques de Mickey, sans oublier dans une même veine Ferdinand et Oscar.
Il y avait là un aspect adulte que je ne trouvais pas dans la bande dessinée flamande qui paraissait dans d’autres quotidiens et qui arborait dans son fanion les valeurs familiales (encore que…), sous prétexte d’aventures et d’humour (Vandersteen, Sleen, Buth, Nys, De Moor), souvent dotée aussi d’un esprit caustique et satirique, voire politique, qui à l’époque m’échappait complètement.
En vérité l’envahissement progressif des BD dans la presse quotidienne coïncidait à la lente régression des feuilletons écrits. Et il est certain aussi que ces “BD pour tout public” contenaient parfois une légère pointe d’érotisme, peu prononcée certes, mais acceptable dans la mesure où ces BD s’adressaient quand même principalement à des lecteurs plus matures. Cette position était encore plus perceptible dans les hebdomadaires que lisaient les adultes et où pouvait se déchaîner, selon un mode plus pervers, une attitude ostentoire destinée à plaire, sinon séduire, un lectorat avide de retrouver dans ce mode de lecture des éléments types propres au roman d’amour: sentimentalité à l’eau de rose, amours impossibles, différence de classes sociales…, car la majorité de ces hebdomadaires s’adressaient au lectorat féminin et jouaient la carte du sentiment, perpétuant à bon marché ce que ces grandes dames du roman d’amour avaient étalées depuis Ann Radcliffe.
Les élements types étaient du genre personnages archétypés (la belle à séduire, le beau jeune homme amoureux, le perfide séducteur, du bien-aimé au mal-aimé, sentimentalisme outrancier, imbroglio de situation, aventure passionnelle, erreurs de jeunesse, j’en passe et des meilleurs).
On peut référer à cet egard aux romans des “reines” du roman d’amour, Marlitt, Courths- Mahler (moins connue du public français), Barbara Cartland, jusqu’aux romans de la série Harlequin, voire les “chicklits” actuels et il existe là-dessus de doctes études, mais grosso mode le terrain d’approche est archi-connu et archi-pénétré, dont le schéma ci-joint peut donner une grossière image du processus:
La libération sexuelle des années ’60 nous conduisit jusqu’a la pornographie pour toutes les bourses, aussi bien que tous les excès possibles, dans les fumetti per adulti et se reflètait également dans les romans-photos (Ah, Satanik!)…
Il n’en demeure pas moins que cet important apport à l’évolution de la bande dessinée demeure mal étudié, disons partiellement étudié. L’histoire de la BD adulte en France reste à établir à tous les niveaux, mais il faut quand même dans un premier temps renvoyer le lecteur aux études exemplaires d’Alain Beyrand et ses diverses publications; ainsi son extraordinaire catalogue encyclopédique des bandes horizontales françaises dans la presse adulte de 1946 à 1975, recense plusieurs centaines de BD diverses parues dans les journaux .
Quant à la presse du coeur il reste encore beaucoup à faire, qui ne bénéficie jusqu’à présent que d’études partielles et incomplètes. Ainsi dans son livre “Petite Histoire de l’érotisme dans la BD” Henri Fillipini consacre un chapitre à l’Avant-Barbarella en France où il brise une lance en faveur des nombreux dessinateurs, qui publiaient des BD souvent érotiques dans diverses publications, en citant abondamment (mais pas toujours à bon escient ni en connaissance de cause) Les Grands Romans Noirs Dessinées, Frissons, Duo , Nous Deux, La Vie en Fleurs, etc. Au moins il n’a pas été sans remarquer ce pan important dans l’évolution et l’histoire de la BD en France, ce qui n’a pas toujours été le cas .
Pour preuve le très curieux “Erotisme et Pornographie dans la Bande Dessiné” (1978) d’un certain Michel Bourgeois, qui prétend, le petit doigt sur la couture du pantalon: “Les années 50 en France nous propose une bande dessinée bien pâle en matière d’érotisme. (…) En étudiant (!) cette époque de plus près on constate que, en France comme aux Etats-Unis (…) il n’y a pas d’érotisme ou de pornographie.” (p. 26).
Oh que si, il y avait de l’érotisme dans la BD Française de l’époque; Oh que si! Cela dit, elle planait et virevoltait dans de nombreuses publications, soit prononcée dans de petites publications franchement destinées à un public adulte, soit aguichante mais tempérée dans le secteur bien délimité que l’on appelait la “presse du coeur”, deux secteurs au lectorats différents, co-habitant avec le secteur plus général, plus populaire encore de la presse enfantine…
Admettons qu’il nous est impossible d’établir ici un historique complet, ne possèdant que des fragments de bibliographie ; essayons, quand même de déblayer un tant soit peu le terrain, en espérant que cette petite etude, fort succincte, puisse susciter des émules, qui un jour ou l’autre pourrons complèter ce qui n’est qu’un survol hâtif, regroupant ici les principales publications du genre.
A noter encore que l’évolution de la BD dans la presse hebdomadaire pour adultes coïncide en grande partie avec la naissance et l’historique du roman-photo.
Justement dans ce domaine il existe maintenant quelques solides études, ainsi l’excellent petit volume “Le roman-photo”, par Serge Saint-Michel, hélas bien mal illustré et surtout les oeuvres diverses de l’immense collectionneur Bruno Takodjerab (Les années roman-photo et La saga du roman-photo), où il est quand même aussi fait mention des BD qui petit à petit laissèrent la place au seul roman mis en images photographiques , hélas .
Car dans les années ‘60 les hebdomadaires familiaux et pour adultes renoncent à la BD au profit du roman-photo. Ce dernier envahit tout, il figure même dans les illustrés pour la jeunesse, puisque l’éditeur Cino Del Duca n’hésite pas à l’incorporer dans L’Intrepide et Hurrah, il est vrai qu’il s‘agit ici d’un baroud d’honneur, car ces deux publications battent de l’aile et ne peuvent plus concurrencer avec Spirou, Tintin, Le Journal de Mickey, voire le encore jeune Pilote.
Dans les années ’60 on essaie vainement de combiner les deux, ainsi Télé-Jeunes (Editions Mondiales encore!) nous donne dans son premier numéro (en 1962) des dessinateurs français et américains (Pierre Dupuis et Jack Kirby), mais davantage encore des reportages avec photos et des romans-photos…
Dans nombre de ces publications pour la jeunesse, aussi bien que dans la presse familiale, soit encore la presse du coeur, la BD est reléguée au second plan, voire tout à fait étranglée par le mode d’expression envahissant du roman-photo.
Nous limitant à l’expression de la BD, essayons maintenant de délimiter le terrain et à défaut d’être complet, de souligner les publications les plus intéressantes dans le domaine de la BD adulte et érotique… C’est parti mon Kiki !
| 1945 | V (puis Voir, V-Magazine, etc. //1945-1969) |
| 1947 | NOUS DEUX + NOUS DEUX PRESENTE etc. |
| INTIMITE | |
| 1948 | A TOUT COEUR |
| CONFIDENCES | |
| RIEN QUE TOI (?) | |
| 1949 | FESTIVAL |
| RADAR | |
| 1950 | CHERIE |
| REVES | |
| BOLERO | |
| PARIS-ROMANS EN IMAGES | |
| 1952 | LECTURES D’AJOURD’HUI |
| 1953 | FRISSONS |
| CHERIR (+ 1955 ? Suivi par Idylle) | |
| LES GRANDS ROMANS NOIRS DESSINES | |
| ROMANS EN IMAGES | |
| LA VIE EN FLEUR | |
| KALLUM MAGAZINE/ L’ AN 2000 | |
| 1956 | IDYLLE |
| 1957 | DUO |
| OUI | |
| 1958 | SUSPECT (+1959 ?) |
| 1959 | LUI |
| Non datée | COLLECTION JEUNE FILLE |
Prochain chapitre : V magazine et Jean-David
Première publication de ce texte : "Detective Story - Cahier BD III", éditions Kosmopolis/VPOB, 2013.